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Critique de michfred


Petite. Noire. Pauvre. Vieille. Seule.
Comme un Roi Mage , elle serre sur son coeur une offrande: un pain aux amandes, huilé, anisé, fortement sucré- on dirait un gâteau, dit-elle.

Guerrière casquée de chagrin, mater dolorosa sans prière, coccinelle têtue sur la grand' route du destin, Ana Paücha marche. le baiser furieux du soleil, la morsure sauvage des pierres, les cailloux qu'on lui jette au passage, les mains brutales qui l'immobilisent , parfois, ou qui la chassent, toujours, rien ne l'arrête : elle suit obstinément les traverses du chemin de fer.

Vers le Nord. Vers la Mort. Elles ont rendez-vous, toutes les deux.

Mais d'abord, elle doit voir le petit et lui donner son pain aux amandes, huilé, anisé, fortement sucré- un vrai gâteau, dit-elle. Elle marche vers la prison où est enfermé, depuis 30 ans, le petit, son dernier fils. le petit… Il doit avoir cinquante ans. La guerre le lui a pris vivant celui-là, comme elle a pris, et tué, ses trois autres hommes, son mari et ses deux fils aînés.

Loin des libres routes de la mer, loin des vagues vineuses et des barques de pêche aux filets bariolés. Loin de la barque abandonnée qui porte son nom: Ana- la --joie -du - retour.

Elle n'est plus rien, Ana. Elle n'a plus rien, Ana Paücha. Même son nom s'évapore dans le soleil brûlant, se perd dans la poussière du ballast. Rien d'autre qu'Ana non.

Parfois une chienne galeuse, un aveugle qui chante l'égalité, un cirque pouilleux partagent sa route. Mais partager c'est éprouver encore plus durement la solitude quand, immanquablement, on la retrouve, très vite, très brutalement au détour du chemin.

Parfois elle croise aussi les fêtes barbares de ceux qui ont gagné la guerre- aye, cette terrible guerre civile espagnole . Fête ostentatoire de la charité, où les riches s'offrent le luxe d'honorer un jour, un jour seulement, les misérables qu'ils chassent tous les jours de leurs églises pavoisées. Valle de los Caidos où, sous la croix énorme, se dresse la crypte des Tombés et où pas un nom ne parle de sa souffrance à elle, de ses Tombés à elle. Et enfin, manifestation mercenaire d'un soutien populaire factice au Vieux Vainqueur, gâteux, mais tenant toujours sous sa griffe sa «Patrie » schizophrène..

Fêtes barbares de l'or, du sabre et du goupillon, où on tente de l'enrôler, elle, la fourmi noire, minuscule , misérable, irréductible et si forte. Ana la rouge. Ana non

Ana non qui a toujours contre elle ce pain aux amandes, huilé, anisé, fortement sucré- même s'il ressemble de moins en moins à un gâteau, trouve-t-elle.

Et nous, nous attachons nos pas à ses pas, pleurons quand on lui arrache ceux qui, très rares, lui apportent un peu de bien-être ou de joie.

Ah ! si seulement nous pouvions donner à ses pieds martyrisés les caresses de l'eau, à son coeur affamé la chaleur parfumée d'une grillade sur la braise , le réconfort du café chaud, à sa mémoire blessée l'ivresse oublieuse du vin, à ses vieilles épaules l'enveloppante douceur d'un châle de laine …

Ah ! la prendre dans nos bras, la bercer, la consoler, cette vieille Ana non, qui serre sur son ventre vide un pain aux amandes, huilé, anisé, fortement sucré, qui n'a plus rien d'un gâteau, maintenant, dit-elle.

Je n'ai pas pu faire une critique de ce livre bouleversant, unique et puissant, écrit directement en français par son auteur- et Prix Inter en son temps- Je n'ai pu que dire mon émotion, essayer de rendre un faible écho de la puissance de sa langue et de ses images.

Non, Ana non ne me sortira jamais du coeur, de la tête, de la mémoire.

Elle y marchera encore longtemps, toute droite, et fière, et seule, avec son pain aux amandes…

Huilé, anisé , fortement sucré - un gâteau de l'âme ou de larmes, je dirais…
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