AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Requiem des aberrations (6)

– Hein ? franchement ? Comme quoi il suffisait d’y croire. On y a cru et on a trouvé, mon immense camarade, on a trouvé ! Mais regarde-moi ça. C’est à nous, c’est pour nous, tout ça.
Et pour fêter « ça », il me déposa gloutonnement sur chaque joue deux baisers sonores qui puaient joyeusement un mélange de charcuterie à l’ail et d’effluves alcoolisés. Puis, d’un geste seigneurial et généreux :
– Non mais franchement ? Franchement, c’est pas mirifique, ça ?
« Ça »… Les mots « décharge », « ruine », « désert » ou « taudis » bien touillés ensemble eussent échoué à donner une image exacte de ce traquenard au faciès de hangar en tôles ondulées, ce canularesque point de non-retour sur fond de parpaings et de vieux pneus entassés où commença cette histoire. Du déglingué cradingue et de l’insalubre saumâtre fraternisant dans une silencieuse agonie, l’humide graisseux acoquiné au caoutchouteux pourri, voilà ce qu’était « ça » : une gigantesque ruine de hangar à la vaste toiture éventrée dont les tôles bâillaient vers les nuages, donnant au premier regard à l’ensemble des lieux l’apparence de quelque démentielle vieille boîte de conserve béante et rouillée, un cadavre d’immense bâtiment. Trois des murs étaient dûment écroulés, le quatrième par contre, bizarrement intact et debout, dressait altièrement son pan de briques rouges comme bravant l’imprescriptible arrêté qui semblait avoir voué à l’abolition ce tas de ruines encrassées. « Ça » avait peut-être été jadis atelier municipal ou garage à autocars. Ou pourquoi pas centre de rétention ? Peut-être bien usine si l’on en croyait les ossements corrodés de diverses quincailleries indéfinissables qui persistaient par-ci par-là, les épais amoncellements entrelacés de câbles et de chaînes antédiluviens, les restes de rouages, poulies, morceaux d’écrous, tout un désolant tintouin de séquelles fossilisées par l’empoussièrement et un ancestral cambouis.
Soucieux de remédier à l’innommable, je baptisai ce monumental et consternant vestige Vieil Entrepôt. Car indubitablement ce lieu avait jadis assumé la fonction d’entreposer : des ballots de marchandises et des chars à banc ou des véhicules municipaux, qui eût pu dire ? Des munitions et de l’armement peut-être, de la force de travail mêlée de sueur prolétarienne sans doute, des bovins faisant tristement escale avant l’abattoir, ça se pouvait, de l’humanité indésirable promise à d’expéditives mesures de reconduite ou de déportation voire pire, on frémissait d’y penser.
Commenter  J’apprécie          10
Quelque fortuite et lointaine ascendance québécoise lui avait-elle valu ce langoureux non de famille ? Cette question, dont je ne connus jamais la réponse, participait de l'énigme du personnage.
Commenter  J’apprécie          10
Avec toutes ces histoires, les doigts de Pandolphe qui n’avaient rien sculpté depuis trop longtemps commencèrent à furieusement le démanger. Histoire de s’entretenir la main il avait bien transformé, à l’intention des progénitures, une boîte de conserve en rhinocéros et des restes de papier d’emballage en caravane de chameaux, mais sa créativité n’y avait pas trouvé son compte. Or, le lendemain matin, ô surprise, une peuplade de nains de jardin d’un genre un peu spécial avait envahi le Vieil Entrepôt. Tout ce qui restait de bouteilles et sacs en plastique, de cartons et cageots en bois, débris, embouts de ferrailles et tuyauterie, tout cela, comme touché par la baguette d’une fée tandis que nous dormions, s’était transformé en gnomes et kobolds, en énormes fleurs d’espèces fantasques et inconnues. Les âmes de Calder, Giacometti et Marcel Duchamp s’en étaient-elles venues danser ici pendant la nuit ? Le Vieil Entrepôt, ami lecteur, prenait vie et âme.
Commenter  J’apprécie          00
Au cours d’un massacre dans sa petite bourgade où il était employé des postes, Bankara avait vu sa tante et son grand-oncle être découpés au coupe-coupe et leurs morceaux griller dans son bureau d’où il n’avait eu que le temps de s’éjecter, juste quand on y mettait le feu. Ç’avait été à ce moment-là qu’une machette maniée il ne saurait jamais par qui avait voulu le décapiter.
– Comment j’ai triomphé à m’enfuir du saucissonnage, ça, Cousin-mon Frère Saturnien, je suis aussi inapte à le dire que toi à lutiner Internet.
Par miracle, sa Princesse du Paradis avait pris le train la veille pour visiter de la famille. Lui s’était terré plusieurs jours où il avait pu. Postés à moins d’un kilomètre, un bataillon de Casques bleus et une délégation d’observateurs internationaux n’étaient pas intervenus, sans doute bien trop occupés qu’ils étaient à « maintenir la paix ».
Depuis une huitaine d’années, sa Princesse et lui vivaient à Paris, leurs deux « progénitures » étaient nées à l’ombre de Notre-Dame et du Sacré-Cœur. Bankara s’était attelé à bénéficier d’un statut de réfugié que, dans les premiers temps, il n’avait pas douté d’obtenir haut la main. Les obstacles, déconvenues et tracas n’avaient point tardé à se transformer en un boulet de désenchantement et d’angoisse qu’il traînait désormais de cybercafés en employeurs au black, piégé par le pervers et patient enlisement des démarches et recours. Chaque fois, ses demandes étaient différées, chaque fois, on lui demandait encore et encore les preuves des horreurs qu’il était venu fuir à Paris.
– Imagines-tu un cas de figure plus grimaçant, Cousin-mon Frère Saturnien ? La dernière fois que j’y suis allé, l’harangueuse des lois me l’a formulé avec dans ses yeux la lueur qu’elle plaisantait pas ; ma cicatrice compte pour rien : « Ce que vous avez là, tatoué sur le cou, une bagarre boulevard Ornano dessinerait la même chose, rien ne nous prouve que c’est un autographe du bourreau. »
Commenter  J’apprécie          00
D’extatiques monosyllabes et borborygmes me parvenaient de sa prostration. Ses gigantesques mains pétrissaient l’air vicié, sculptant dans le vide l’avenir du Vieil Entrepôt. Tel l’un de ces magiciens des contes orientaux dont il faut bien reconnaître qu’il avait en cette minute, avec ou malgré son large imper délavé, sa tignasse malpropre et ses grosses grolles râpées, un peu de la présence charismatique, il transformait le vaste taudis délabré en je ne sais quel eldorado dont il était bien le seul à percevoir et révérer la splendeur. Car franchement, ami lecteur, au seuil et à la vue d’une semblable terre promise, n’importe quel Moïse à qui le Seigneur eût annoncé « Voilà le pays que je t’ai promis mais tu n’y entreras pas ! » aurait poliment étouffé un « ouf » d’indicible soulagement. Seulement, tels les galériens d’autrefois à leur immédiat compagnon de chaînes, j’étais arrimé aux basques déguenillées d’un Moïse à qui Dieu n’avait pas refusé cette terre promise, à qui Dieu était peut-être en train de la refiler de bon cœur comme une erreur de sa création dont il ne savait comment se défaire.
Commenter  J’apprécie          00
La soirée était belle et je sillonnai jusque très tard dans la nuit boulevards et endroits de Paris dans l'espoir idiot de me trouver nez à nez avec le disparu, le cœur me bondissant d'une joie sitôt déçue à chaque silhouette suggérant si peu que ce fût John Wayne dans la nuit.
Commenter  J’apprécie          00



    Lecteurs (19) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (2 - littérature francophone )

    Françoise Sagan : "Le miroir ***"

    brisé
    fendu
    égaré
    perdu

    20 questions
    3680 lecteurs ont répondu
    Thèmes : littérature , littérature française , littérature francophoneCréer un quiz sur ce livre

    {* *}