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Critique de clesbibliofeel


Ce roman, sur fond historique, alterne les époques marquantes de l'histoire du Brésil au XXème siècle. On suit alternativement trois époques à travers le récit d'Eduardo et le journal de Luciana :

1938 : Eduardo (7 ans) et son frère Luis (5 ans) assistent avec leur père au massacre des « indiens barbus » opposés à l'extension de la propriété privée, une scène d'introduction marquante, parfaitement maîtrisée !

1969 à 1971 : Eduardo s'isole de sa famille, se réfugiant dans le déni par rapport à la violente répression de la dictature militaire – en place depuis 1964 – alors que son frère Luis est un militant syndical et politique.

Eduardo, cadre au service juridique de la Compagnie des Transports Publics, rencontre sa nouvelle assistante Liliana et fantasme un nouveau départ affectif avec elle. Dans un mouvement de folie, il rédige une lettre de dénonciation qui va avoir des conséquences terribles.

2003 à 2004 : Eduardo âgé, toujours plus seul, a pour voisine Luciana et sa fille Adelina qu'il garde de temps en temps pour rendre service. – Les militaires se sont maintenus au pouvoir, avec l'aide de la CIA, jusqu'au retour de la démocratie en 1985. Depuis 2002, Lula da Silva, ancien syndicaliste, est au pouvoir –. le contexte historique, non donné dans le livre, est indispensable pour comprendre le parcours chaotique des protagonistes.

J'ai été pris par l'écriture superbe d'Estelle Granet, par le rythme du récit traversant les époques. Dans une première partie riche de toutes les promesses, j'ai vécu intensément l'aventure d'Eduardo et Liliana, retrouvant les accents par moment d'un Jorge Amado ou d'un Gabriel Garcia Marquez.

Et puis arrive la deuxième partie, confrontation d'Eduardo avec Luciana, sa voisine, une jeune femme discrète qui cache une terrible blessure. Véritable choc du présent avec le passé.

Adelina, la fille de Luciana, – âgée de 7 ans comme le narrateur dans la scène de départ ! – est le trait d'union avec Eduardo, chacun à la recherche d'une famille de substitution. En ce sens, l'enfant pourrait rendre possible la réconciliation, avec soi-même, avec le passé, avec ce qu'on a fait, ce qu'on a subi, ce qu'on a raté. La résilience cherche alors son chemin face au silence et aux secrets qui sont des ennemis terriblement efficaces. Adelina représente l'avenir à construire avec les victimes, avec ceux qui se sont tus ou aidé les bourreaux.

Au final, un roman très intéressant par rapport à l'histoire du Brésil et les ravages des dictatures militaires en Amérique du sud à cette époque. Un cadre inquiétant permettant à l'autrice d'introduire la question qui concerne chacun de nous : dans des conditions aussi difficiles de dictature, de torture, de disparition des opposants désignés comme terroristes, qu'aurais-je fait ? Défendre la liberté, la justice, la démocratie au nom d'un idéal, au risque d'y perdre la vie ? Faire le dos rond en continuant une routine confortable en espérant que ça passe ? Ou pire, participer à la délation par rancoeur, vengeance, par bêtise.
Qui peut réellement répondre à ces questions sans y être réellement confronté ? Est-ce cela qui m'a dérangé au final ? le malaise se trouve accentué par un narrateur principal plutôt sympathique et à la fois capable de commettre les pires abjections par lâcheté, par orgueil... par les scènes insupportables vues alors qu'il n'avait que 7 ans.

Ce livre polyphonique, à l'architecture complexe, casse bien des certitudes, permet un autre agencement du réel non défini par l'autrice, que le lecteur doit construire seul, à partir de ces matériaux dérangeants.

Estelle Granet a fait des études d'ethnologie. Après avoir vécu au Brésil, elle écrit un ouvrage documentaire sur l'expérience du budget participatif de Porto Alegre et un recueil de nouvelles, Sept fois rien, récompensé par le Prix de la Nouvelle d'Angers. Elle vit aujourd'hui à Lille où elle participe à des projets littéraires et artistiques avec les habitants de la région.

Voici une autrice qui signe par L'écho d'un instant, un premier roman tout à fait prometteur !
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Chronique complète avec une photo personnelle de la couverture - Bruyère en fleur sous la neige, comme un espoir qui attend son heure - sur mon blog Bibliofeel.
Je serais ravi de votre visite et de vos commentaires !




Lien : https://clesbibliofeel.blog
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