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Critique de lafilledepassage


Gunter Grass écrit ceci : « Ce serait trop simple si l'on pouvait ramasser dans un chapeau toute blancheur, la mettre dans une armoire. On pourrait dire la même chose du noir ». Je suis entièrement d'accord avec lui. Dans la vie tout n'est pas tout noir, ni tout blanc (ou rose si vous préférez …). Pourtant, ici, dans « le tambour », je dois avouer avoir eu beaucoup de difficultés à trouver un peu de couleur, un peu de lumière, un peu d'air, un peu d'espoir.

Il y a d'abord, bien sûr, l'époque, celle particulièrement nauséabonde d'avant la deuxième guerre jusqu'aux lendemains misérables de celle-ci. Puis l'endroit, cette terre kachoube, coincée entre l'Allemagne protestante et la Pologne catholique, à la frontière entre peuples slaves et peuples baltes. Cette terre grise et plate, sous le ciel gris et lourd, avec à l'horizon cette mer grise et froide.

Et enfin il y a le microcosme où Oscar, le narrateur, grandit, un monde de travail, de peine je devrais dire, avec si peu de joie et si peu d'amour, … Un monde étriqué, coincé entre paysannerie et petite bourgeoisie provinciale.

Voilà pour le décor. Passons aux personnages. D'abord les seconds rôles: la mère qui entretient une relation adultère avec le cousin sous la table (au sens propre), le dit cousin Jan, exemple de lâcheté et d'hypocrisie qui mourra avec le sept de pique dans sa main (qui signifie au tarot « un manque d'opportunisme et prévient des dangers liés à l'attentisme et à l'immobilisme »), le père officiel Matzerath, nazi du dimanche matin qui ne se montre différent, voire sensible, que par son occupation favorite, la cuisine …. Et puis, Greff, l'ami de la famille, le marchand de légumes roublard à la petite semaine et chef scout grand amateur de grand air, de jeunesse et de chair fraîche. Sa femme, la mère Greff qui git dans sa couche fétide. Et aussi, Bruno, l'infirmier, qui épie Oscar avec son regard de poulpe éteint. Et les amis d'Oscar qui le visitent dans son hôpital psychiatrique, « ceux qui veulent le sauver, ceux que ça amuse de l'aimer, qui ont besoin de lui pour s'estimer, s'honorer, se connaître eux-mêmes ». Aucun de ceux-ci ne m'est sympathique. Tout au plus peut-on saluer le courage de Matzerath qui ne livra jamais son prétendu fils aux autorités sanitaires nazies. Mais bon quel père aurait livré son enfant ?

Et puis il y a le héros, mais peut-on vraiment parler de héros dans ce roman-ci ? Disons plutôt le personnage principal, le premier rôle. Oscar … Eh bien il m'a donné beaucoup de mal, l'Oscar … Il est le narrateur de ce roman particulier, mais, de temps en temps, il parle de lui à la troisième personne sans qu'on s'y attende (en tout cas moi je n'ai pas compris le mécanisme, la raison qui le fait tout à coup parler de lui à la troisième personne).

Oscar a décidé (ou croit avoir décidé ? pour moi ce n'est pas clair … accident ou pas ? Notre narrateur est tellement fantasque, imprévisible, peu fiable) à trois ans de ne plus grandir. Déjà j'ai eu du mal avec ça, car je me souviens que lorsque j'étais enfant, je n'avais qu'une envie : devenir grande, adulte quoi. C'est vrai qu'à l'adolescence ma motivation s'est estompée, mais j'avais dépassé l'âge de trois ans depuis belle lurette.

Vous me direz que c'est une fable, ok… Mais ce refus de grandir à trois ans me trouble malgré tout. J'y ai décelé une revendication à l'attention, pour ne pas dire un appel à la douceur, à la compassion, voire à la tendresse, qu'Oscar recherchera chez les infirmières toute sa vie.

J'y ai lu aussi une certaine lâcheté, une volonté de ne pas quitter l'abri chaud et réconfortant des jupes de la grand-mère, ou plus tard l'hôpital psychiatrique loin du monde extérieur froid et inhospitalier.

Le propos est très égocentré, très nombriliste. Les scènes sont très détaillées, souvent trop (en tout cas à mon goût), avec un style lourd et embrouillé. Certaines scènes sont complétement fantastiques, comme ce jeune homme tué par une femme de bois, le dialogue d'Oscar avec Jésus, sans parler d'une fascination pour les cadavres. Oscar prétendra aussi être responsable de la mort de ses pères. Et sur la fin, il sera obsédé par une énigmatique sorcière noire (symbolisant la culpabilité, la solitude, la mort, la folie ????). Difficile donc de suivre ce personnage hors du commun, difficile de l'appréhender, de le comprendre, de l'aimer, même juste un peu.

Et pourtant le roman en lui-même réserve de bonnes surprises, des scènes sublimes (j'ai envie de dire géniales) comme celle de la pêche à l'anguille dans la Baltique (âmes sensibles s'abstenir), ou la mise en scène du suicide du commerçant véreux, ou la dégustation originale de la poudre effervescente à la framboise. Ou encore le tambour d'Oscar qui fausse la cadence des fanfares nazies, la fabrication d'un château de cartes en plein bombardement, la destruction d'une chambre d'enfant sous le feu des obus …

Et puis aussi c'est un merveilleux monde olfactif, un voyage au pays des odeurs (on ne parle pas assez des odeurs dans les romans je trouve et c'est fort dommage). En vrac : odeur de beurre rance qu'Oscar respire sous les jupes de la grand-mère, odeur de l'huile à sardines de sa mère d'Oscar, odeur de cannelle, clous de girofle et muscade de Roswitha, la maitresse d'Oscar … sans oublier l'odeur de désinfectant qui colle à la peau de Fajnol, le Juif rescapé employé à la désinfection des camps de la mort …

Comme Graff, j'aimerais parfois que les choses soient plus simples. J'aimerais dire simplement « j'ai adoré » ou « non, je n'ai pas du tout aimé », après une lecture. Mais ici, je suis incapable de prendre position. Je peux juste dire que ce roman m'a troublée, peut-être même qu'il m'a dérangée … Et c'est peut-être beaucoup plus intéressant comme ça, tout en nuance, non ?

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