AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de mercutio


"Le Tambour" ayant déjà fait l'objet sur Babelio de critiques de qualité qui sacrifient à la règle du résumé de l'oeuvre, nonobstant celui de l'éditeur, je m'en abstiendrai pour exprimer, déjà trop longuement, quelques considérations, personnelles à défaut d'être pertinentes, que m'ont inspirées cet ouvrage.
Devant un tel magma en fusion, l'exercice impose de se limiter, hélas.

"Le Tambour" est considéré par les éditeurs comme un roman parce qu'il faut faire simple et que le lecteur, qui est aussi un client, doit s'y retrouver sans barguigner. Il se trouve qu'ici la simplicité n'est pas de mise et qu'il serait plus juste de qualifier cette oeuvre d'allégorie ou, dans un esprit oecuménique, de roman allégorique; mais pas de fable car, une fable étant un court récit allégorique contenant une moralité, le compte n'y serait ni pour le" court", ni pour "la moralité" car "Le Tambour" est un long roman allégorique amoral. Et puisque j'ai fait un détour phonétique par le conte, je ne retiendrai pas davantage cette appellation, car bien qu'on soit effectivement, comme pour un conte, en présence d'un récit d'aventures (partiellement) imaginaires, d'une part, la taille du "Tambour" est là encore trop imposante; d'autre part, si un conte est, comme on le dit souvent, une histoire à dormir debout, ce "Tambour" se distinguerait plutôt par sa capacité à empêcher de dormir bien qu'allongé.
J'en reste donc, plutôt satisfait, au roman allégorique, en rappelant ce qu'en écrit Larousse: "oeuvre littéraire ou plastique utilisant une forme d'expression d'une idée par une figure dotée d'attributs symboliques (art) ou par une métaphore développée (littérature)", ajoutant, ce que Larousse ne laisse pas supposer, que cette alternative apparemment exclusive entre art et littérature, se fond et se dilue, avec "Le tambour", dans un magma créatif dont l'éruption produit une lave qui est loin d'avoir refroidi quelques cinquante ans plus tard.

J'avancerai tout d'abord la proposition que "Le Tambour" offre trois niveaux de lectures, à la fois intimement imbriqués et suffisamment indépendants pour qu'au cours de la lecture on soit rapidement perdu, se demandant sur lequel de ces niveaux on avait cru bon de se poser pour laisser à la température de ses neurones l'opportunité de se stabiliser et quitter la zone rouge, et espérer ainsi pouvoir terminer la lecture sans risquer d'être illico presto emporté dans un lieu tout blanc par des personnes tout en blanc, je disais donc trois niveaux:
- une saga familiale dans les milieux paysans et petits commerçants de Dantzig sur fond d'événements guerriers et d'incertitudes génétiques, drolatique et outrancière
- une allégorie du psychodrame de populations appartenant au Lebensraum Grossdeutchland, un peu avant, pendant et un peu après le nazisme
- l'exutoire littéraire d'un auteur selon moi assez perturbé au plan psychique, comme tout un chacun certes, mais ayant choisi, lui, de faire métier de l'exprimer.
Günter Grass utilise à ces fins, remarquablement agglomérées de telle sorte que les niveaux ressortent totalement fusionnés, diverses formes de formulation parmi lesquelles le récit romanesque au style direct, alerte et épuré, de brefs moments théâtraux, des ruptures "spatio-temporelles" chères aux romans policiers, des épisodes d'élocution précipitée où s'expriment la confusion ambiante, les répétitions autistiques qui tendent à rassurer dans un environnement instable,… avec, indéfectiblement, ce parti pris d'humour corrosif par le rapprochement des incompatibles, d'ironie, de dérision voire de cynisme qui provoque, presque à chaque page, pourvu qu'on le tolère dans ce contexte historiquement douloureux, le sourire, cependant toujours un peu estomaqué que l'auteur ait osé cela, à cet instant-là.

Qui dit allégorie dit métaphores ou clés . Ne disposant ni du double des clés ni de passe-partout, il ne me reste que le pied de biche pour tenter d'ouvrir ce coffre-là, ce qui est mon privilège de lecteur lambda.

On a donc un enfant qui refuse de grandir c'est-à-dire un nain, à qui pousse une bosse; on a un tambour plutôt bas de gamme mais coloré en rouge et blanc ; on a aussi un cri destructeur de verre (vitricide) mais qui épargne les vitraux des églises catholiques; et puis on a des infirmières aux couleurs du tambour, et puis aussi des odeurs, de toutes sortes mais plutôt d'inspiration alimentaires et pas toujours ragoutantes, et en général associées à elles, le sexe omniprésent jusque sur les plages du débarquement; on a en plus le doute existentiel quant au père et à sa propre identité ... Ajoutons la guerre, qui fournit le décor couleur feldgrau.
J'y vois un peuple-gnome, hésitant entre sa tradition à laquelle il est attaché, mais pas tant que ça finalement, parce qu'elle a de beaux yeux bleus et des idées nouvelles qui n'emballent pas les enfants mais ont leur intérêt dans la mesure où elles assurent le gite et le couvert; ce peuple, qui ne sait plus qui il est, ne grandira plus, mais, alors qu'il pourrait être caisse de résonance de son passé préférera battre le rappel des troupes et amplifier le son des bottes et des discours. Ce même peuple, vitricide lors de la nuit de Cristal au cours de laquelle les synagogues furent incendiées, ainsi appelée parce que les vitres des magasins juifs furent brisées, échoue pourtant à faire exploser les vitraux catholiques dont ses tenants s'accommodent fort bien des nouveaux maîtres. Règlements de comptes en passant avec l'église catholique. Lâche, le gnome-peuple qui, presque par inadvertance, en arrive à tuer et se résout à enterrer ses deux sources nourricières et son tambour avec la dernière, préfère donc se taire désormais jusqu'au moment où il pourra l'ouvrir à nouveau et, à l'occasion, grâce aux oignons, pleurer pour faire bonne mesure sans manquer de prospérer en symbiose avec le jazz Marshall. le blanc et le rouge, si précieux à Oscar, étant ceux du drapeau de la Pologne mais aussi, par une bizarrerie du destin, de celui de l'Autriche (au moins depuis la fin de la guerre), on admet, après mure réflexion, que le fait que le Reich ait copulé avec celle-ci, qui s'y est prêtée si volontiers, et celle-là, qui a résisté comme elle pouvait, puisse avoir un certain rapport avec son fantasme sexuel stimulé par la blouse blanche et la croix rouge des infirmières. Mais j'en viens de plus à considérer qu'il faut décidément que l'auteur y mette du sien. Ne suis pas allé jusqu'à trouver évidente la correspondance entre la bosse d'Oscar et la vision cartographique plane de la RDA posée sur le dos de la naine RFA qui s'était résolue à grandir ….
Au fil des pages, élimination scrupuleuse de toute trace d'émotion d'Oscar, sauf, tout de même, pour sa maman, patrie qu'on emprisonne, "matrie" qui s'empoisonne.

Ayant promis de me limiter, je solde le reste .
"Le Tambour" est une BD olfactive qu'on lit avec les yeux, les oreilles, surtout le nez qu'il faut pourtant se pincer de temps à autre. Il offre des morceaux d'anthologie tels la chute de la poste polonaise, la pêche aux aiguilles ou le petit Jésus au tambour, mais ne laisse pas de susciter un vague malaise, nonobstant l'odeur de beurre légèrement rance de sous la grand-mère, que je tente de m'expliquer par la trop intime et , selon moi, omniprésente influence du psychisme de l'auteur, imprimée sur l'évocation d'événements auxquels, a contrario du ton adopté par Grass, les générations non allemandes d'après-guerre ont toujours voulu accorder un scrupuleux respect mémoriel . La distanciation du lecteur d'avec la forme est ici impérative, sous peine de très grande peine. Günter Grass, talentueux, iconoclaste, l'anti Heinrich Böll, en deçà des métaphores que chacun est in fine libre de décoder comme bon lui semble, dénie au premier degré à ces événements tragiques tout caractère abject et hors norme. A ce niveau, ni bien, ni mal, mais la survie et le quotidien, les patates, le jeu de cartes et le sexe. C'est au degré allégorique que se met en place, sophistiquée, contrariante et ambiguë, ce qui pourrait être une dénonciation mais qui n'est en fait qu'une constatation des réalités d'alors.
Au troisième degré se non-cache l'homme Grass. D'une certaine façon, par ses révélations ultérieures sur sa présence dans la Waffen-SS, il a instillé le doute aboutissant au constat que le caractère narcissique du "Tambour" peut-être primait.
Personne n'est parfait, pourrait dire Oscar.

J'ai aussi peut-être raté une marche….
Commenter  J’apprécie          221



Ont apprécié cette critique (13)voir plus




{* *}