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Critique de Biblioroz


Sunset Song chante la terre de Kinraddie, ses champs, ses labours et ses moissons, ses saisons sous le ciel écossais, ses hommes et ses femmes, leurs sueurs laissées comme une empreinte sur son sol, leurs querelles et leurs amours, et leur adieu à un monde paysan qui se transforme, ébranlé par la Première Guerre mondiale et l'avènement de la modernisation.

En cet hiver 1911, neuf fermes composent le domaine de Kinraddie situé dans le pays des Mearns au nord-ouest de l'Ecosse. Avant de s'attacher plus intimement à Chris Guthrie, l'auteur nous présente « le champs en friche », un petit tour de ferme en ferme pour nous familiariser avec les lieux et les habitants, sans oublier une visite truculente de l'église, lieu incontournable pour s'abreuver des sermons d'un pasteur infidèle.

Ce roman publié en 1932 frappe dès le début par son style offrant une narration animée, extrêmement vivante, à la manière d'un récit oral dont les réflexions et exclamations sont pleines d'humour et d'esprit. L'auteur, tel un comédien sur scène, déclame de longues tirades et, parfois, s'adresse à l'héroïne en utilisant le tu. Il n'en oublie pour autant de semer sur son texte des passages intensément poétiques qui en font une admirable perle littéraire.

Lorsqu'on fait la connaissance de Chris, celle-ci a quinze ans et son coeur oscille entre deux mondes, celui de l'éducation qui s'est ouvert à elle en rencontrant les livres et les leçons, et celui de cette terre d'Ecosse dont elle s'enivre depuis sa naissance. C'est ainsi que deux Chris s'affrontent, celle écossaise pour qui l'odeur précieuse des labours, le flamboiement des ajoncs et la sensation de l'herbe sous son corps sont indispensables et celle anglaise, nourrie par ses études et qui constate le côté péquenaud, rustaud et parfois grossier des paysans qui l'entourent. Elle rêve de devenir institutrice mais ce duel qui se livre perpétuellement en elle l'a fait douter.
Son père n'hésite pas à user de violences pour inculquer à Chris et son frère Will le respect de la religion et du travail tandis que sa mère s'étiole et perd peu à peu sa jovialité derrière les grossesses successives qui la minent.
Les fermiers voisins s'invitent dans le récit, soit en partageant la vie aux champs, en s'entraidant face aux intempéries, soit au gré des commérages qui vont bon train dans ce petit monde paysan. Sous des allusions pleines d'ironie, on côtoiera les idées socialistes de Chae qui attend la Révolution pour que les riches et les pauvres soient enfin égaux. Dans la bouche de Long Rob du Moulin, Dieu, la religion et les pasteurs seront malmenés et égratignés avec beaucoup d'élégance et de pertinence.
Et puis, avec sa poésie pure, délicate et prégnante, l'auteur fait frissonner les herbes, rougeoyer le soleil couchant sur les champs asséchés, frémir le vent sur la campagne humide, balancer les genêts sous l'air printanier et nous laisse percevoir le murmure de la mer du Nord. Il sait aussi bien parler de l'éveil de Chris dans sa féminité, de l'amour naissant, des élans caractériels qui l'assaillent subitement, de sa générosité et de son courage que de l'orage qui déchire la terre, du feu qui ravage la ferme voisine, des odeurs de terre et de ferme dont Chris se nourrit et des cris des bécassines et vanneaux qui ponctuent le travail aux champs.
Je suis restée éblouie par la qualité artistique de cette plume lorsqu'elle évoque la souffrance du deuil qui entraîne la mort de l'enfance et relègue les livres et les rêves au grenier.

Nous ouvrant sur les observations qui se forment dans le coeur et l'esprit de Chris, ce bijou littéraire creuse de magnifiques sillons pour parler de la place de la terre et de son immortalité face à nos vies, nos mesquineries, nos guerres et nos destructions. « La mer et le ciel, et les gens qui écrivaient, combattaient, étudiaient, ceux qui enseignaient, racontaient et priaient, tous ne duraient que le temps d'un soupir, une nuée de brouillard dans les collines, mais la terre était éternelle, elle bougeait et se transformait sous tes pas, mais elle restait à jamais, tu étais proche d'elle et elle de toi, dans ses bras elle te tenait et te faisait souffrir. Et dire qu'elle avait songé à abandonner tout ça ! »

Cette lecture de toute beauté respire la rudesse et la nostalgie. Elle se referme sur la transformation des attentes, des mentalités, des lieux, et signe l'adieu à ce petit monde paysan qui ne vivait que par et pour leur terre.
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