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Critique de Levant


Baignés dans l'atmosphère d'une époque où un christianisme tyrannique règne en maître et enferme les esprits dans le carcan de la pensée unique, les intellectuels du Quattrocento cherchent une échappatoire dans l'humanisme des philosophes de l'antiquité. Poggio Bracciolini, dit Le Pogge, est de ceux-là. Laïque au service des cours pontificales, officielles ou auto proclamées, il fait de sa vie une quête de ces recueils devenus rares, parce que transcrits sur des supports périssables, convaincu que si la parole véhicule la pensée dans l'espace, l'écrit la véhicule dans le temps.
Tiraillé entre la doctrine d'une église, dont les prélats corrompus ne s'appliquent pas à eux-mêmes leurs prêches de pauvreté et de chasteté, et la théorie d'Epicure, qui prône la recherche des plaisirs terrestres comme philosophie de vie, Le Pogge navigue entre hérésie et dévotion. Toujours sur la corde raide, il traverse le quattrocento, ce 15ème siècle italien, au cours duquel une sorte de frénésie gagne les esprits des intellectuels dans leur fascination pour une pensée libérée des contraintes du Christianisme. Tout mode d'expression de l'esprit antique trouve faveur à leurs yeux : peinture, sculpture, architecture et bien sûr écriture. La valeur de cette dernière est en outre magnifiée par sa rareté et la fragilité de ses supports. Une forme d'urgence s'impose à eux pour faire renaître par la copie les quelques ouvrages qui ont survécu à des siècles de guerres, de calamités naturelles, d'autodafés.
Paradoxalement, ces recueils païens sont très souvent conservés par des religieux dans les riches bibliothèques de leurs monastères. C'est dans celui de Fulda, en Allemagne, que Le Pogge trouvera ce qui est annoncé comme l'écrit qui bouleversa la pensée du 15ème siècle et de ceux qui suivront, jusqu'à nos jours.
C'est à partir de ce moment qu'est mise à l'épreuve l'élévation intellectuelle du lecteur. Sa culture littéraire devra apprécier la portée philosophique et la force poétique que Stephen Greenblatt veut conférer au texte de Lucrèce.
Je mets alors en cause la pauvreté de ma propre culture pour dire que je suis resté sur ma faim, trahi par la présentation de l'éditeur. L'intrigue dévoilée dès les premières pages nous fait attendre le chapitre VIII pour décrypter la teneur philosophique développée par ce fameux de la nature qui a subjugué l'auteur. Mon attente, forgée par la grandiloquence de l'entrée en matière de la préface, à la manière de la promotion pour une superproduction américaine, s'est éteinte d'elle-même au fil des chapitres. Stephen Greenblatt, anticipant d'ailleurs la déception du lecteur ne déclare t'il pas lui-même : « de la nature est à la fois un grand livre philosophique et une oeuvre poétique. Bien sûr, en résumant comme je l'ai fait ses propos, on passe à côté de la puissance poétique de Lucrèce, … ».
Il ne faut donc pas se tromper d'objectif et attendre un thriller haletant, mais bien s'apprêter à philosopher autour de la lutte ravivée entre le paganisme des antiques et la ferveur aveugle du christianisme de ce siècle bouillonnant. Comme le dit Stephen Greenblatt : « La langue est souvent difficile, la syntaxe complexe, et l'ambition intellectuelle considérable ». Cette phrase qui évoque le texte de Lucrèce en lui-même, traduit aussi le fait que cet ouvrage n'est pas un polar historique à lire sur la plage, mais bien un thème de réflexion. Qui n'est pas ouvert à la philosophie devra faire oeuvre d'examen critique et abandonner l'idée de se faire absorber par une lecture facile propre à faire galoper les yeux sur de ligne en ligne, de page en page.
Il n'en reste pas moins que le fondement historique est réel et traduit bien le tiraillement des intellectuels de ce siècle, avides de liberté mais étouffés par l'omniprésence et l'omnipotence de l'Eglise.
A lire avec concentration, et un crayon, pour se fixer des repères dans ce conflit philosophique dont notre siècle appauvri en valeurs a fait oublier à quel point il a gouverné la vie des contemporains De La Renaissance.
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