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Critique de Bibliozonard


Karl Taro Greenfeld
Journaliste, conteur, satiriste, auteur d'un livre remarqué sur l'autisme, né à Kobe, de mère japonaise et de père américain, habite Tribeca, bien entendu, avec sa femme et ses deux filles. C'est le sixième livre de l'auteur. Premier traduit en français.

Quelque part sur la toile, cette question : À quel âge les femmes (j'ajoute, et les hommes) se sentent-elles (ils) le mieux dans leur peau ? Ah oui, voilà. C'était sur le site du journal le Huffingtonpost cette semaine. Ce livre approche une partie de la réponse. Dans la richesse ou la pauvreté, la vingtaine ou la quarantaine…


Une autre sensation, paisible, nostalgique ; ressort de l'ouvrage. Vous êtes-vous déjà assis sur une marche d'un monument, ou sur le banc, ou dans la pelouse d'un grand parc ? Avez-vous traîné en terrasse récemment ? En ville ou dans le quartier ?Dans ces cas de figure, avez-vous passé votre temps à réfléchir à la vie que menaient les passants dans ces lieux ? Essayez d'imaginer comment l'un et l'autre en sont arrivés à se croiser à un moment précis de la journée, sans savoir qu'ils pourraient échanger un mot anodin à la boulangerie ou au supermarché quelques heures plus tard. Vous arrive-t-il de vous demandez ce qu'est devenu l'un, pourquoi est-elle comme ça, comment se sont-ils éclipsés alors qu'ils n'avaient pas un rond en poche et où sont-ils ? Et finalement, vous, qu'est-ce qui vous a amené dans le coin ?
Ce que Karl Taro Greenfeld propose doucement c'est de se mettre à la place de ces personnages et de les relier à un moment donné. Ici, le départ, c'est un quartier « in » de NY, Tribeca. Tout commence devant la cour de l'école huppée des enfants d'artistes, avocats, financiers. Tous ont réussi ou vivent de la réussite d'un (e) autre.
Pour l'énumération de la liste des personnages très éclectiques présent dans ce livre, les touches du clavier d'or sont attribuées à l'auteur du quatrième de couverture, l'auteur a écrit avec talent, un texte très clair et complet. Voici un morceau, le plus gros…
« L'ingénieur du son devenu, grâce à son mariage avec une riche WASP, propriétaire de studios d'enregistrement ; le sculpteur, géant taiseux vivant des subsides de sa femme galeriste ; le journaliste à succès dont les Mémoires vont se révéler entièrement truqués ; le dramaturge qui n'a écrit qu'une seule vraie pièce ; le marionnettiste qui rêvait de révolutionner son art ; le cuisinier italien en passe de coloniser la ville avec ses restaurants ; le producteur de cinéma qui n'a presque rien produit, et même le gangster juif de Brooklyn qui méprise ces goys, mais ne peut s'empêcher de les écouter disserter sur le monde comme il va : à eux tous (sans oublier leurs épouses, souvent détentrices du vrai pouvoir), ils forment une sorte de tribu urbaine fascinante sur laquelle Karl Taro Grennfeld porte un regard sarcastique et amusé ».
Les couples se croisent, font des affaires, s'envient, se haïssent, se trompent, et s'ennuient. Dans la richesse, vous rencontrerez ceux qui ont réussi, qui réussissent, ou qui ont aussi vu le quartier changé. La plupart joue, parle sur un ton maussade, déçu, se donne un genre, c'est la vie de « pseudoartiste », étouffée par du copinage calculé, les relations professionnelles obligatoires… Chacun critiquant le domaine de l'autre… Chacun étant la révolution de son domaine. Des présentations, des interactions se créent légèrement, provoquent des réactions qui changent le quotidien soporifique de certains, et ouvriront des perspectives à d'autres, physiques ou professionnelles. Dans ce constat déprimant, les enfants ne sont pas épargnés. Ce sont des témoins et des acteurs formatés par leurs géniteurs à reproduire le même comportement en société.
D'où la règle d'or et capital :
« Il faut être impitoyable pour réussir » p213
C'est un roman d'ambiance, une atmosphère dans laquelle évolue une tribu urbaine (= Triburbia), une autre espèce qui évolue dans Tribeca. En dehors de cette sphère, rien n'est normal, c'est comme les bourgeois sous Louis XV qui supportent l'existence du reste du monde. Et qui, heureusement ne s'y frottent pas. Il n'y a aucun intérêt ailleurs et ce qui y vit ne serait pas à même de comprendre, à la limite serait intellectuellement dépassé ou hors sujet…
Personnalités ou inconnus, quasiment tous fumeurs de joints, vivent d'un héritage, ressemblent aux personnages de "Moins que zéro" (de BEE) quelques années plus tard — tient ce n'est pas « Suites impériales » ça ? — blindés de tunes, où l'on vit de trips, de dérisions et d'anticonformismes ; paradoxalement avec une bonne place dans la société. Un luxe permit, ça le fait, c'est un style de vie. Celui des yuppies, les pseudo-bohèmes. Un regard nostalgique sur un passé rêveur déformé avec les responsabilités actuelles. Ils ne font pas quelque chose à quoi ils s'attendaient, délaissant l'art pour un travail alimentaire… Pour entretenir femmes et enfants. « le yuppie est le propriétaire d'un loft, immeuble, vit de son art, riche, avec une famille. Un locataire est plus proche de l'homme des cavernes (page 106) ».
Tout artiste s'imagine, espère, croit en sa capacité à révolutionner son art… Parfois, aussi insignifiant soit-il.
La construction : un chapitre, un personnage, sous forme d'une nouvelle. Chacun parle de lui, de son vécu, de ce qu'il est devenu ainsi que de leur jeunesse, des rencontres et, de fil en aiguille, ce qui les a amené ici et maintenant… Des questions existentielles.
Mark (qui est le sosie de Grennfeld a écrit - en plus de l'exemple de la ville et d'autres personnages - quelque chose quasi autobiographique, il joue avec la frontière entre la fiction et la réalité), aura le premier et le dernier mot de l'histoire. Il rumine sur la vie de couple, celle de solitaire, sur le mariage et la solidité de celui-ci, sur le temps qui passe, les enfants et sa vie… Une euphorie où tout fonctionne dans le quartier qui pimente l'amour et l'amitié. Puis, tout s'en va. La richesse se déplace, les relations s'étiolent, les amis déménagent, et finalement vous aussi…Tout recommence ailleurs.
Le ton est doux, caustique, réaliste, nostalgique, déprimant et lucide. Une image surréaliste vient à l'esprit : l'écho de la chanson « The end » de "The Doors" qui surgit d'une photographie d'un R. Doisneau. Une image qui raconte une histoire en noir et blanc percutante laissant un lecteur songeur. Regardez là n'importe quand, et votre imagination s'occupera du reste. La musique, la touche final suit le rythme...
Mark Taro Greenfeld a produit le même genre d'oeuvre. Une multitude de prises de vue complètes. Sous tous les angles, c'est ce qui est étonnant, via chaque personnage. C'est une histoire simple et reposante emplie de réflexions sensées sur le sens de nos vies, de nos choix. Une plume légère, un ton feutré. C'est bref et limpide. Genre du roman : classique, réaliste. Un agréable et reposant moment de lecture.
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