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Critique de Osmanthe


Ce livre s'inscrit dans une série très ambitieuse proposée par l'éditeur consacrée à l'Histoire générale de la Chine, et cible ici la période communiste commencée en 1949. Il aborde en quelques 450 pages très denses l'évolution politique, économique et sociale du pays intervenue depuis lors et jusqu'au début 2018.
Pour moi, le pari est réussi. L'auteur Gilles Guiheux est un universitaire parisien chevronné, et on retrouve ce « formatage » dans la rigueur du plan proposé, simple, clair, didactique. Il a choisi de consacrer les quatre premiers des dix longs chapitres à l'histoire politique chronologique depuis l'avènement de Mao Zedong jusqu'à l'ère actuelle de Xi Jinping. Cette phase permet de planter le décor politique. Les chapitres suivants reprennent la chronologie mais par thématiques : les aspects institutionnels et de droit, les spécificités économiques, les aspects sociaux (migrations internes, inégalités…), la dichotomie ville / campagne, la modernisation sociétale, l'éducation et la culture.
Au début, il faut se faire un peu violence pour se plonger dans cet ouvrage ambitieux, notamment par le foisonnement des mentions de dates et de personnalités influentes du Parti, dont il faut suivre dans quel courant elles se situent, d'autant plus que l'organisation, le rôle et le pouvoir de chacune des multiples instances politiques donne le tournis : Président de la République (quand il existe), Premier Ministre, Vice-Premier Ministre, Secrétaire Général du Parti (le vrai leader), Comité central, Bureau Politique (à géométrie variable), Commissions (Le Président de celle des affaires militaires est parfois le n°1 du régime)...La partie chronologique peut ainsi paraître assez fastidieuse et complexe. L'auteur a le souci d'éclairer les jeux de pouvoir au sein du Parti, les rivalités entre factions (Pékinois et Shanghaïens !), entre les anciens et les nouveaux promus aux postes à responsabilités. Et c'est finalement bienvenu, car que sait-on vraiment, vu d'ici, de ces luttes intestines, des hésitations et revirements stratégiques du régime, alors que cette histoire nous paraît stable et irrésistiblement ascensionnelle sur la trajectoire du développement ? Ainsi, ce qui frappe, c'est la multiplicité et la succession des orientations prises, souvent contrariées par des résultats médiocres et au mieux imparfaits, et modifiées radicalement quelques années plus tard au prix de purges impitoyables dans l'appareil d'Etat, selon que la balance penchera du côté des conservateurs ou des réformistes. Ce que je retiens des dirigeants présentés : Mao le père fondateur du régime, évidemment le plus charismatique, le plus autoritaire, maître dans l'art de la manipulation et adepte du diviser pour mieux régner. Finalement très contesté pendant son règne (notamment sur sa gauche par la bande des quatre, et sur sa droite à un moment au moins par Deng Xiaoping) et qui a clairement échoué à développer le pays, sa priorité étant d'imposer d'une main de fer le nouveau système politique tout en se démarquant de l'inspirateur soviétique : le Grand bond en avant n'aura mené qu'à la Grande famine, et la Révolution Culturelle (1966-76) à la persécution de millions de chinois considérés comme "droitiers", envoyés en camps de rééducation par le travail, voire en prison, quand ils ne sont pas éliminés physiquement. Succédant à un intérim de deux ans, Deng Xiaoping, « le révolutionnaire professionnel », qui a tout connu depuis les années 1920 est plus un pragmatique qu'un idéologue. Ecarté des instances dirigeantes durant toute la période de la Révolution culturelle, il parvient à s'imposer comme un homme neuf et impulse des réformes plus libérales. Il est entravé pendant dix ans par ces rivalités internes qui ne cessent pas. Des progrès vont intervenir sur la construction d'un Etat de droit, certes non démocratique, mais qui jette les bases d'une plus grande égalité devant la loi, sous la houlette du premier ministre Zao Ziyang. Mais les étudiants rêvent de démocratie et en veulent davantage quand l'aile conservatrice bloque les avancées, et c'est Tian an men le 4 juin 1989. Le vieux Deng Xiaoping est alors décisif quand il a l'audace, face à des conservateurs un temps revigorés, de relancer les réformes dès 1992. Il proclame alors l'engagement dans la voie de l'économie socialiste de marché. Et cette fois, on le suit. Ses successeurs qu'on pouvait croire peu charismatiques approfondissent le sillon tracé, impulsant des avancées dans un climat politique plus stable, qui leur permet de rester dix ans chacun au pouvoir avec seulement trois premiers ministres : Jiang Zemin favorise un développement économique sans précédent, notamment par une ouverture à l'étranger (la Chine adhère à l'OMC en 2001), puis Hu Jintao cherche à réduire les inégalités sociales et instille un discours plus défenseur de l'environnement. En 2012, Xi Jinping, "le Prince" communiste (son père a fait toute sa carrière dans le Parti), plus indépendant des factions, est d'une génération qui a mal vécu la Révolution culturelle. Paradoxe, si l'héritage de Mao n'est plus guère revendiqué, il est bien présent quant à la résurgence d'un culte de la personnalité que Xi cultive d'autant plus qu'il règne sur une RPC plus puissante économiquement et politiquement que jamais.
L'auteur montre que le Parti a su finalement, malgré quelques vicissitudes et revirements, se transformer au fil des décennies, renouvelant son personnel dirigeant, désormais plus expert et davantage féru d'économie et de droit qu'autrefois de technique et d'affaires militaires. Ce Parti laisse se faire certaines évolutions inéluctables de la société (impact de la mondialisation, des nouvelles technologies…), permettant à celle-ci une respiration indispensable pour servir de soupape de sécurité, ce qui lui permet finalement de maintenir un pouvoir de contrôle voire de censure, certes en recul, mais clairement persistant dans nombre de domaines. L'auteur conclut qu'on est passé d'un régime maoïste totalitaire à un régime postmaoïste autoritaire.
Sur le plan économique, si le passage à l'économie socialiste de marché a bien été proclamé par Deng Xiaoping en 1992, les dirigeants du Parti se sont retranchés derrière l'argument de cette phase nécessaire préalable à l'atteinte de l'objectif d'économie marxiste. Les réformes se sont faites par à-coups, souvent menacées voire annihilées par la frange conservatrice du Parti. Plus qu'une adhésion volontariste sur le long terme aux thèses du libéralisme économique, il semble que la voie chinoise soit expérimentale et unique, guidée avant tout par le pragmatisme.
L'auteur n'oublie pas enfin d'observer les évolutions sociales, les questions de l'urbanisation accélérée et des migrations des paysans vers les villes, des inégalités, du logement, et souligne quelques succès incontestables, notamment en matière d'éducation (le taux d'analphabètes chez les adultes est passé de 80 % en 1949 à 5 % aujourd'hui selon l'Unesco), de la recherche, et de la culture où le Parti censure moins, conscient de l'apport des artistes chinois de renommée internationale pour le prestige de la nation.

Cet ouvrage est ainsi une somme remarquable, très documentée, une véritable bible sur le système politique en place en Chine continentale depuis 1949 et ses conséquences économiques et sociales. Le style est clair, précis, et le propos, passé la complexité tout à fait logique des premiers chapitres, est accessible et s'avère sinon passionnant, du moins très instructif.

Peut-être aurait-on pu attendre une tentative d'ouverture sur l'évolution potentielle, prévisible, de la RPC et de son système politique. L'auteur ne s'y est pas risqué, et sa conclusion générale m'a semblé trop rapide. De même, pour un ouvrage paru au printemps 2018, l'homme Xi Jinping et les spécificités de sa politique sont trop sommairement évoquées me semble-t-il.
Rien de très grave, je m'en vais compléter le propos par le "Dans la tête de Xi Jinping" de François Bougon, excellent complément en perspective ?!

J'adresse de vifs remerciements à l'équipe de Babelio, et à l'Editeur Les Belles Lettres pour m'avoir adressé cet excellent ouvrage dans le cadre de l'opération Masse critique.
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