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Critique de audelagandre


« Et mes jours seront comme tes nuits », semblables à ces journées gorgées de soleil sous le ciel de Tanger, là où tout a commencé. Hannah se souvient de sa rencontre avec Juan. Entre eux, plus que l'amour passionnel des débuts, celui qui n'obéit à aucune loi, il y a l'amour de l'art. Hannah joue de la flûte traversière, Juan est peintre. Tanger, la ville qui a abrité les premières fois, revient régulièrement dans le récit puisqu'à travers elle, les souvenirs affluent. Les corps se rapprochent, les sourires se comprennent, les yeux se dévorent. Tous les jeudis, Hannah se prépare pour retrouver Juan. le soleil fait place à l'obscurité, et la clameur de la ville mue vers un lieu où le temps s'est figé. Juan est en prison, et tous les jeudis, depuis trois ans, Hannah vient lui rendre visite. « Le jeudi, c'est la cérémonie des retrouvailles. » Il est son phare dans la nuit, même derrière des barreaux. Hannah raconte cette absence, ce cruel manque de l'autre, et sa façon qu'elle a de tenir par la musique. La musique l'aide à orchestrer sa vie pendant que celle de Juan a été mise sur pause, par Nessim, son meilleur ami, celui qui l'a trahi. Lorsqu'on est doué comme l'est Juan pour la peinture, il est facile de glisser vers des activités moins honorables, un piège qui se referme tout doucement sans faire de bruit. Face à l'appât du gain, l'amitié ne fait pas long feu. Voilà pourquoi il est coincé là, Juan, entre quatre murs : il n'a pas su s'arrêter à temps.

Ces deux âmes en souffrance s'étaient bien trouvées. Elle orpheline, ses parents ont été les victimes d'un accident d'avion, l'absence elle connaît. Lui prend conscience qu'il descend d'une lignée de franquistes, toujours fidèles à la droite de la droite, antisémite de surcroît (Hannah est juive). La solitude il connaît. Ce rapprochement de deux solitudes est le socle de leur union. L'asile imposé en sera aussi le prolongement. Maëlle Guillaud raconte l'enfermement de ces deux êtres, chacun à leur manière : elle par le manque, lui par l'incarcération. L'univers de la prison prend une grande place dans le roman. L'auteur décortique les émotions de ceux qui y entrent comme visiteurs et de ceux qui y vivent comme résidents. « Le passage de l'extérieur à l'intérieur est tellement brutal. Hannah repense aux mots de Juan. Elle a envie de lui dire que le cheminement inverse n'est pas facile non plus, mais elle n'en a pas le droit. » le monde carcéral a ses propres lois, ses propres codes, son univers : l'absence de silence, la défaillance du sommeil, la disparition d'une forme de solitude. Alors, chaque jeudi, Hannah vient parler du dehors, et Juan parle du dedans.

« Et mes jours seront comme tes nuits » est une histoire d'amour funeste, une tragédie shakespearienne où les deux amants souffrent autant qu'ils aiment. Ce supplice, cette lente agonie fera dire à Hannah : « Le bonheur, quel triste mot. »

« Et mes jours seront comme tes nuits » raconte l'enfermement au sens propre, mais aussi l'aveuglement volontaire, comme si, pour ne pas souffrir, le cerveau se mettait délibérément sur pause. le refus de regarder la vérité en face devient une forme de suffocation, la réalité se terre derrière des souvenirs fugaces. Grâce à une construction passé — présent efficace, Maëlle Guillaud met en lumière l'emprise. Celle de Nessim sur Juan, celle de l'enfermement de Juan sur Hannah. Mais au milieu de ce chaos, elle choisit de placer l'art comme réceptacle de tous les martyrs et de sublimer ainsi toutes les blessures.

« Et mes jours seront comme tes nuits » c'est la ville des souvenirs qui bruisse, la présence d'une porte qui abrite bien des secrets, et l'absence, cruelle, tenace, autour de laquelle tourne l'univers d'Hannah. Maëlle Guillaud signe ici un très joli roman, délicat et subtil, jusqu'à cette fin foudroyante où tout fait sens. Les apparences comme les rendez-vous sont parfois trompeurs…

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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