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Critique de karenbzh


Louis Guilloux, romancier français né et mort à Saint Brieuc (1899-1980).
Ce Briochin vivra de nombreuses années à Paris pendant lesquelles il fera des allers-retours réguliers entre Bretagne et Paris.
Saint Brieuc sera le théâtre de l'essentiel de ses romans, notamment dans le sang noir même si la ville n'est jamais directement citée.
Admirateur et ami d'Albert Camus, Louis Guilloux, quelque peu oublié aujourd'hui, souvent relégué à tort comme un écrivain de terroir a pourtant fait partie des grands noms de la littérature française.
Auteur populiste, il est également l'auteur de la maison du peuple, récit autobiographique dans lequel il revient sur ses origines prolétariennes et du Pain des rêves.

Le sang noir, chef-d'oeuvre qui a propulsé Louis Guilloux dans le paysage littéraire français, a été publié en 1935 aux éditions Gallimard. Il a manqué de peu le prix Goncourt.
Ecrit dans l'Entre-deux guerres, détail non négligeable puisqu'il parait à une époque où les intellectuels ont pris conscience de l'absurdité de la première guerre mondiale dont ils ont la conviction qu'elle sera la dernière.

Merlin, le personnage central de ce roman, anti-héros par excellence, est un professeur de philosophie baptisé Cripure par ses élèves. Il doit ce surnom à ses travaux sur Emmanuel Kant, Cripure étant la contraction de la critique de la raison pure.
Cet homme atypique est marginalisé par les notables de cette petite ville de province.
Malgré ce statut de marginal, chacun s'accorde pourtant à reconnaître que Cripure est un personnage important de cette petite société. On dénigre l'homme mais on admire le savant et l'imminent professeur qu'il représente et qui est un atout non négligeable pour la commune.
Il a fait sa renommée par la publication de deux ouvrages dans sa jeunesse : le premier sur Turnier, le second sur les Mèdes.
Il est pourtant vu comme un « raté » dont toute l'existence est risible : son mariage et sa séparation avec Toinette, son concubinage avec Maï, une goton illettrée qui le trompe mais l'aime comme une mère, son fils conçu avec une souillon et qu'il a refusé de reconnaître. Tout en Cripure est de nature burlesque. C'est pourquoi il rêve à un nouvel ouvrage où il pourrait enfin être reconnu à sa juste valeur. Cet ouvrage qu'il appelle sa « Chrestomatie » serait l'ultime ouvrage de sa vie. Sa disparition entre les crocs de ses chiens que pourtant il semblait aimer, contrairement aux autres hommes qu'il semble abhorrer, lui sera insurmontable et viendra se rajouter à la honte qui l'assaille.
Au début du texte, Cripure est victime d'une tentative d'assassinat, fait qui se reproduira plusieurs fois dans la journée. Au fil du texte, en découvrant les différents personnages, on comprend rapidement que Cripure suscite la jalousie chez certains notables, particulièrement Nabucet, son ennemi juré qui aurait tout intérêt à le voir disparaître de la cité et qui va précipiter sa chute.

Pour le personnage de Cripure, Louis Guilloux, bien qu'il s'en soit souvent défendu, s'est fortement inspiré de son professeur et ami, le philosophe Georges Palante.
A l'instar du personnage qu'il a inspiré, Georges Palante était surnommé Schopen en raison de son admiration pour Schopenhauer.
Georges Palante souffrait également de cette étrange infirmité qui handicapait Cripure et qui peut rendre le personnage burlesque.
Mais surtout, Louis Guilloux fait parler Georges Palante dans la bouche de Cripure. Tous deux ont des parcours similaires, partagent la même philosophie. Celle d'un individualisme pessimisme qui condamne une société hypocrite et bien pensante qui n'a de cesse de freiner l'homme dans sa quête.
Georges Palante est l'auteur de la sensibilité individualiste.

Dans le roman, il y a également un effet de mise en abîme avec la thèse de Cripure sur Turnier. Georges Palante avait lui-même écrit une thèse sur Jules Lequier dont la vie et surtout la mort ressemble trait pour trait à celle de Turnier.
Les deux philosophies de Georges Palante et Jules Lequier apparaissent donc nettement tout au long du roman.

Aux côtés de Cripure, Louis Guilloux décrit et retrace la journée de nombreux personnages, qui fait du Sang noir un texte digne d'un roman dostoïevskien. On y rencontre essentiellement les notables, acteurs de cette petite ville de province.

Un des points forts de ce texte se situe dans la durée de l'action qui se déroule sur vingt-quatre heures, le lecteur peut ainsi suivre chronologiquement les différents protagonistes dans leurs actes et pensées tout au long de cette longue journée.
A travers des descriptions extrêmement détaillées, on parvient au fil du texte à cerner les personnalités, souvent complexes, des personnages.

Roman à première vue sur la première guerre mondiale, le sang noir ne traite pas de la guerre à proprement parler.
Le front n'apparaît jamais directement, excepté dans les conversations.
Le récit se déroule à l'arrière, dans une petite ville de province où les habitants, loin de l'enfer du front, ignorants de sa réalité ne pensent qu'à un patriotisme démesuré, à outrance.
Ils ignorent ou feignent les réalités de cette guerre dont ils se portent les garants au nom de
la Mère patrie.
Leur quotidien est toujours le même qu'avant-guerre, préoccupés par leurs petits soucis futiles et matériels, indifférents de la boucherie qui se joue à quelques kilomètres d'eux, sur le front.
Ils targuent les jeunes embrigadés de conseils patriotiques avisés sans pour autant mettre leur propre existence et leur petit confort en danger.

L'idée essentielle que Louis Guilloux développe tout au long de son roman va donc bien au-delà du conflit franco-allemand qui n'est pas le vrai sujet du texte bien qu'il soit indéniable que Louis Guilloux dénonce la guerre et son hypocrisie. Cependant, le texte est ponctué de nombreux détails et anecdotes historiques sur la guerre de 1914 et surtout l'année 1917, date essentielle dans ce conflit marquant d'une part la révolution russe et d'autre part, les multiples rébellions de jeunes soldats français éveillés sur les réalités.
Par ses nombreux personnages, l'auteur cherche à démontrer avant tout la bassesse de l'Homme dont même l'enfer de la guerre ne parvient pas à corriger les vices.
Tout au long de cette journée, le lecteur suit ces notables égoïstes, hypocrites, pervers qui incarnent toutes les bassesses de l'être humain.
Ces vicissitudes exacerbées de ce petit groupe de notables amènent le lecteur à une réflexion générale sur l'Homme. le comportement de ces hommes pour qui les valeurs importent peu écoeurent peut-être même plus que la guerre elle-même.

Tout au long du roman, les personnages se livrent à des réflexions métaphysiques sur l'absurdité de la vie, mais aussi de la mort. Cette absurdité, accentuée par celle de la guerre, n'est pourtant pas liée directement à cette dernière.
Dans ce discours universel et sans âge, les personnages, particulièrement Cripure, réfléchissent à l'absurdité de devoir mourir et de passer ainsi de vie à trépas.

Mais outre ces personnages, la mort, personnage imperceptible, sournois, rôde, omniprésent.
Outre les victimes qu'elle atteint au loin au front, elle atteint là où on ne l'attend pas toujours.


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