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Critique de YvesParis


Longtemps réduit à la caricature exotique d'un personnage de bande dessinée, le pirate est devenu une figure réelle et menaçante de la mondialisation. L'Asie, et notamment le détroit de Malacca, zone de passage obligée entre le Japon et le golfe persique, fut longtemps son terrain de prédilection. Mais les côtes somaliennes ont, depuis le milieu des années 2000, le triste privilège d'être devenues la zone maritime la plus dangereuse de la planète. Les attaques s'y sont multipliées, les pirates somaliens se montrant de plus en plus audacieux, s'aventurant jusqu'à 1500 milles de leurs côtes jusqu'au Sri Lanka ou à Madagascar, et de plus en plus revendicatifs, les rançons se négociant désormais à plusieurs millions de dollars.

Si la piraterie s'est développée au large des côtes somaliennes, c'est en raison de la conjonction de plusieurs facteurs. Premièrement la pauvreté des habitants d'un pays classé par le PNUD au dernier rang au monde. Deuxièmement, le consensus social autour de pratiques légitimées par la spoliation dont seraient victimes les pêcheurs somaliens, victimes du pillage de leurs ressources halieutiques par les flottes industrielles d'Europe ou du Japon. Troisièmement, l'espoir d'un enrichissement phénoménal offert par la participation à un assaut qui, s'il débouche sur le paiement d'une rançon, procure à un homme de main une rétribution équivalente à plus de cinq années de salaire moyen. Quatrièmement, des moyens d'attaque de plus en plus sophistiqués et une détermination élevée des pirates. Cinquièmement, enfin, une quasi-impunité garantie par l'absence de toute autorité étatique en Somalie et l'impossibilité d'intervention étrangère à terre.

Agir contre la piraterie n'est pas facile. La réponse judiciaire est un casse-tête faute de pouvoir juger les pirates en Somalie. Quelle est la juridiction compétente ? quel est le droit applicable ? Certains pays comme les Pays-Bas appliquent la compétence universelle ; d'autres comme la France s'y refusent exigeant qu'au moins l'auteur, la victime ou le pavillon soient français. Mais dans un cas comme dans l'autre, il y a quelque chose de surréaliste à juger à Paris ou à Amsterdam de jeunes pêcheurs somaliens mineurs pour lesquels une incarcération même longue en Europe sera toujours plus enviable qu'un retour en Somalie qu'ils refusent de toutes leurs forces, déposant même une demande d'asile politique s'ils viennent à être relaxés.

La réponse policière n'est pas plus simple. Faisant preuve d'un rare unanimisme, la communauté internationale, y compris des pays peu prompts à s'y associer tels que la Chine ou l'Iran, a mobilisé des moyens militaires : opération Atalante de l'Union européenne, Ocean Shield de l'OTAN, Combined Task Force 151. Mais la présence de cette flotte, aussi importante soit-elle, ne suffit pas dans une zone maritime grande comme l'Europe. La question se pose de l'embarquement à bord des navires civils de forces armées. Les militaires doivent-ils en avoir le monopole à l'instar des Equipes de protection embarquées (EPE) à bord des thoniers français ? peut-on, et si oui dans quelles conditions, admettre la présence de sociétés militaires privées ? le débat fait rage en France entre ceux qui estiment que la présence des mercenaires dissuadera les agresseurs et ceux qui, au contraire, craignent qu'elle n'occasionne une escalade.

L'enquête menée par Jean Guisnel et Viviane Mahler présente toutes les facettes de cette question complexe. Elle comporte toutefois un angle mort. Tout en reconnaissant que « les remèdes à la piraterie se trouvent (…) à terre » (p. 277), les auteurs ne nous disent quasiment rien de la Somalie elle-même, de l'inextricable guerre civile qui y fait rage depuis plus de vingt ans, de l'absence de toute régulation étatique et des moyens d'y remédier.
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