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Critique de MariekeMagdalena


« Dounia. L'Or bleu » est le fruit d'une collaboration très réussie entre Cédric van Onacker, dessinateur, et HK (nom de scène de Kaddour Hadadi), artiste au talent immense et aux multiples casquettes : compositeur, chanteur, poète, écrivain… Avec « Dounia » HK s'initie aux exigences d'une bande dessinée, tout en restant fidèle à sa plume poétique, tendre et engagée.
Un rêve de gosse, une fable écologique, une dystopie, « Dounia » est tout cela et infiniment plus. le livre présente un monde très sombre, une ville cauchemardesque ravagée par une épidémie, écrasée par une puissante multinationale chimique et terrorisée par la police. On peut y voir une sorte de roman à clef où l'on déchiffre des allusions au monde actuel. Mais l'histoire ouvre aussi un nouvel horizon et c'est là que réside sa richesse.
En marge d'un monde monstrueux, quelque part dans les montagnes, entre la terre nourricière et le ciel protecteur, vit une petite communauté soustraite aux temps modernes. Se contentant de peu, jouissant des vraies richesses que sont l'air pur, l'eau claire et l'espace vert, les gens y vivent libres et heureux. Un monde idéal face à l'enfer ? Une utopie face à la dystopie ? La fable de HK est bien plus nuancée.
Dounia est une enfant insouciante, enjouée et curieuse de tout. Dans un monde en noir et blanc, elle est la seule à se distinguer par une couleur. En robe bleue, apparentée au ciel, à l'air et à l'eau, elle incarne l'espoir. Elle pose des questions, elle découvre le monde, elle apprend. C'est son grand-père, bien plus que ses parents, qui s'occupe de son éducation, un peu comme dans les sociétés nomades. Il discute avec elle, il lui transmet son savoir et sa connaissance du monde. Voilà une dimension qu'on trouve rarement dans les récits modernes!
Dans notre monde, guidé par l'idée de progrès, on assiste plutôt à d'éternelles querelles des anciens et des modernes, à un incessant conflit des générations qui réduit les vieux au silence et confie aux jeunes la tâche de refaire le monde de fond en comble. Tout retour en arrière étant taxé de conservateur voire de réactionnaire, on fétichise la jeunesse et on fonce en avant tête baissée. le monde linéaire, le temps linéaire, c'est notre monde. Or, dans « Dounia » la parole est donnée au grand-père. Doté d'une grande autorité et d'une grande sagesse, il est le personnage principal autant qu'un symbole. Vieil homme, grand homme, sage, conseiller. Dans cette communauté libre et heureuse le temps ne fuit pas droit dans le vide. Il tourne en spirale, en se ressourçant, en se nourrissant de la sagesse ancestrale. Il avance sans se couper des racines et permet de construire l'avenir en réduisant le risque d'erreurs.
Ainsi, c'est le grand-père, dont la sagesse est épaulée par la vitalité et l'imagination de Dounia, qui quitte le village pour aller parler aux gens de son expérience, de sa connaissance, de sa résistance.
Il ne s'agit donc pas d'un simple retour à la nature pour sauver le monde, comme le suggèrent certains. Il n'est pas non plus question de construire en fanfare un nouveau système chimérique suspendu dans le vide. La fable de HK est un vrai conte philosophique qui propose une réflexion sur l'homme et sur la culture, tout en évitant des réponses trop simples. Elle fait penser, à bien des égards, à « Ourania » de le Clézio. Là aussi, en marge d'un monde impitoyable, vivait une communauté de rêve. Le Clézio, lui aussi, a essayé de montrer que cette communauté n'avait rien de chimérique. Vu l'état de notre planète et les dérives de notre société ce n'est pas un hasard si ces sujets reviennent régulièrement. Mais il y a quelque chose de nouveau dans la perspective que ces deux livres ouvrent. HK incarne ce que Le Clézio préconise : le métissage culturel. Avec sa double, peut-être même sa triple culture, HK perçoit mieux les limites de notre horizon et nos prisons mentales. Il lui est possible de regarder autrement, de voir plus loin, de mieux comprendre la réalité.
Car si la communauté de Dounia peut exister et résister face au monde en faillite, c'est aussi grâce à cet héritage venu d'ailleurs, capable de contredire notre tradition, de l'enrichir, de la sauver peut-être… C'est ce que Le Clézio s'efforce de dire dans tous ses romans, c'est ce que « Dounia » de HK et de Cédric van Onacker illustre à merveille.
On l'adore et on attend la suite. (« Dounia. L'Or bleu » est le 1er tome d'une trilogie).
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