Pupille

Charif-Charif Kaodinna est un homme heureux.
Assis en compagnie de ses camarades dans la benne du pick-up tout terrain, il savoure les fruits d’une longue journée de labeur. La brise du soir rafraîchit ses tempes humides et soulage un peu la souffrance des heures interminables passées sous le soleil écrasant. Une fois rentré au camp, il ferait ses ablutions au sable car l’eau est rare et précieuse, et prierait fiévreusement pour que la journée du lendemain soit aussi productive et fructueuse que celle qui vient de se terminer. Dans le convoi, d’autres hommes dans d’autres véhicules exultent malgré la fatigue. Ils arborent les fiers sourires de ceux qui ont accompli leur devoir envers et contre tout, sans sortir du droit chemin.
Charif-Charif Kaodinna se redresse et brandit sa machette ensanglantée au-dessus de sa tête afin de se joindre aux vivats fervents et enthousiastes qui s’élèvent dans la cohue. Au loin s’élève une épaisse fumée noire, fruit d’un brasier de cadavres et de débris agrémentés de vieux pneus, par souci d’efficacité sans doute. À la queue du convoi, un camion à bestiaux est chargé de jeunes femmes et d’enfants. Les plus jeunes pleurent, les plus matures se réfugient dans un désespoir digne et muet appris sur ces terres qui sont les leurs, mais qui ne leur ont jamais vraiment appartenu. Plus tard, après les ablutions, après les prières, cette terre leur sera davantage arrachée, par le biais de la chair, de la peau et des larmes, voire du sang pour les moins dociles.
Charif-Charif Kaodinna est un homme heureux...

L’humain est vraiment bien fait. Une belle machine évolutive au fonctionnement parfait. Bien entretenu, un humain peut faire des miracles. Accomplir des prouesses physiques vertigineuses d’audace; surmonter et résoudre les plus mystérieuses des énigmes; ou tout foutre en l’air dans des proportions cauchemardesques. L’humain a un incompréhensible penchant pour cette dernière option. Devant l’impossibilité de créer, l’humain choisit invariablement de détruire.