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Critique de HundredDreams


Ce roman, découvert grâce au superbe billet de Chrystèle (@HordeDuContrevent) que je remercie vivement, avait tout pour m'attirer : un titre évocateur, mystérieux, et, en couverture, le tableau du peintre de la Renaissance allemande Cranach l'Ancien, offrant une allégorie de la mélancolie.
Le livre à peine refermé, je trouve difficile de trouver les mots pour rendre compte de mes émotions tant cette lecture est originale, fascinante, dérangeante, troublante.

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Fauvel, la narratrice, suite à un accident qui l'a rendue borgne, accepte de partir pour quelques semaines à la campagne s'occuper de Hannah, la chienne du père d'une de ses amies parti en voyage à l'étranger. Elle espère que ce lieu paisible et retiré l'aidera à se reconstruire suite à son agression et à reprendre pied dans un monde social qui se dégrade et accentue les inégalités.

Mais Fauvel, à la vue de Hannah, a un mouvement de recul : la gueule immense et grondante, la jeune chienne est impressionnante, un fauve imprévisible, incontrôlable, empli d'une force brute.
Son séjour, qui devait être reposant, va s'avérer cauchemardesque, je dirais presque dantesque. Car Hannah n'est pas un animal comme les autres : elle est le clone d'une première Hannah. La jeune Hannah est en tout point identique à la vieille chienne empaillée au milieu du salon. La ressemblance est parfaite jusque dans les traits de son caractère. Mais la chienne, étrange, malaisante, agressive, suscite la crainte autour d'elle. Les villageois lui imputent même l'attaque de troupeaux, la nuit.

La sensation de peur, d'angoisse et de malaise est exacerbée par la présence des chasseurs de la région qui ont la gâchette facile. Menés par Julien, un homme irascible et sanguin, persuadé d'avoir été kidnappé et torturé par des extraterrestres, ils ont décidé de faire la peau à la chienne.
Fauvel est bien décidée à rechercher la vérité dans ces tueries.

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Ce roman est une expérience de lecture insolite qui demande un certain lâcher-prise. En effet, le lecteur perd totalement ses repères dans un récit qui entremêle rêves et conscience, fantaisie et réalité, cruauté et animalité. Je me suis retrouvée dans un ailleurs indéfinissable et sombre, confinée dans un univers de sexe et de drogue, nimbé d'extravagance, d'incompréhension et d'irréalité.

Progressivement, différentes réalités se superposent les unes aux autres dans un monde confus, décousu, tumultueux, heurté, menaçant, fascinant, envahi par l'anxiété, la douleur et la violence.
Un fil invisible tissé de colère et de crainte semble relier Fauvel et Hannah, les unir l'une à l'autre, jusque dans les rêves de la jeune femme où elles ne font plus qu'un.

« Elle passe toute la nuit à rêver d'Hannah, elle est Hannah, elle aime ça, le sommeil est devenu un continent fantastique et confus où chaque nuit elle se plonge pour devenir une chienne extravaguant dans les forêts. »

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Pour moi, toute la force de ce roman vient non seulement du fait que Phoebe Hadjimarkos Clarke excelle à créer une ambiance onirique et oppressante, à exprimer cette bouffée d'anxiété et de trouble que l'on peut ressentir à une lecture, mais aussi à renforcer le climat de confusion qui s'accroit au fil du récit. J'ai été happée par cette atmosphère brumeuse et sensible, par la puissance suggestive de la nuit, par la proximité de la forêt source d'inquiétude et de fascination, par ses instants suspendus qui se désintègrent sous notre regard pour revenir à une réalité brutale, frontale.

C'est un roman où nos sens sont exacerbés par la consommation de drogue : la forêt revêtue d'habits de nuit et de brume provoque une impression d'irréalité et de perte de contrôle ; les bruits résonnent dans la campagne, notamment les coups de fusil et les aboiements des chiens de chasse rendus nerveux par les mauvais traitements. L'odorat ne fait pas exception non plus, emplissant les pages, enveloppant le lecteur d'odeurs terreuses, fongiques ou métalliques, souvent écoeurantes.

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Les personnages de ce récit sont en marge de la société, des êtres torturés, aliénés, et je n'ose le dire, pour moi, caricaturaux pour certains. S'ils ne m'ont pas émue, ni transportée, je dois reconnaître que l'autrice a néanmoins soigné la caractérisation de Fauvel. On entre dans son esprit malmené par la drogue et la tension, dans sa solitude et ses peurs, dans ses rêves hallucinatoires.
Par une sorte de symbiose homme-animal, je me suis liée également à Hannah, un animal fascinant autant qu'inquiétant ; et je me suis bien souvent demandée si elle était vraiment la bête qui massacrait le bétail à la faveur de la nuit.

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Quant au style, j'ai du mal à avoir un avis tranché : si j'ai trouvé certains passages magnifiques de poésie et d'onirisme, l'instant d'après, le choix de certains mots m'a paru trop cru ou maladroit. Au vu de l'écriture, ce choix m'a paru réfléchi et délibéré de la part de l'autrice, mais je n'y ai pas adhéré. En effet, j'ai trouvé que cette rupture dans le style brisait le rythme et la mélodie du texte.
Pourtant, je peux le comprendre. Dans une conscience agitée, chaotique et fragmentée, l'absorption de drogue peut être associée à une perte d'inhibition.

A travers une critique politique et sociétale, Phoebe Hadjimarkos Clarke parle de violence et de traumatisme, de perte, de colère et de peur. Elle propose une réflexion très intéressante sur nos rapports au monde et à l'autre, sur la frontière entre l'humanité et l'animalité, sur l'identité et le genre, sur les préjugés liés à la différence.
De plus, l'autrice joue sur les oppositions : la place de l'homme et de l'animal, la vie en ville et à la campagne, la chasse et le respect de la vie animale.

« Elle caresse Hannah sa main court sur son échine, se repose sur ses vertèbres, ses omoplates, ses os physiques de chien magique, presque irréel, un chien façonné dans un laboratoire, un chien venu d'un rêve. Une idée de chien. »

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Je retiendrai de ce roman la plume poétique et brutale de Phoebe Hadjimarkos Clarke, cette sensation d'irréalité et de rêve qui apporte une touche de réalisme magique et de fantastique au récit.
Le temps semble suspendu, flottant dans un entre-deux où le désir, les fantasmes, le sexe, la drogue et la sauvagerie forment un entrelacs complexe et subtil qui nous questionnent sur le monde d'aujourd'hui.
Les éditions du Sous-sol roman proposent un roman hors norme, qui ne plaira certes pas à tous, mais qui saura séduire par sa singularité et la force de son style !
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