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Critique de Patsales


Après 10 ans d'absence, Zafar vient frapper à la porte de son ami. Entre ces deux hommes que tout semble rapprocher et qu'en réalité presque tout sépare vont s'entrecroiser de multiples récits qui défient tout résumé. L'un est né au Bangladesh dans une famille pauvre et dysfonctionnelle qui émigre en Grande-Bretagne. L'autre, d'origine pakistanaise, vit aux États-unis dans une famille aimante de la bonne société. Tous les deux cherchent à comprendre comment leur vie les a menés, malgré Oxford et leur appartenance à l'élite intellectuelle, à l'échec. Mais pas d'intimisme à la française ici: plutôt une fresque monumentale qui entraîne le lecteur de la guerre indo-pakistanaise jusqu'à la crise financière de 2008 en passant par l'impact du 11/09 sur la politique américaine au Moyen-Orient. Des individus aux États, c'est peu ou prou la même problématique qui ballotte les destins: la supériorité auto-proclamée des uns sur les autres, ceux qui n'ont ni la bonne couleur de peau, ni l'aisance sociale nécessaires pour ne rien voir des humiliations qu'on inflige en toute innocence. Zafar est amoureux de la belle, puissante et insignifiante Emily Hampton-Wyvern comme le Tiers-monde admire l'occident et elle le traite comme les tiers-mondistes vivent leur engagement: avec autant de détachement que de bonne volonté.
Dès lors, le savoir peut-il être suffisamment universel pour relier les êtres humains ? invite à s'interroger le titre. Sans doute son pouvoir est-il grand. le savoir élève et console, et les mathématiques offrent un monde où cohabitent beauté et rationalité, terre d'accueil de l'immigré où ne joue plus le déterminisme social. Mais savoir ne suffit pas. le roman reproduit en son centre l'illusion de Poggendorff. Il s'agit de choisir entre deux lignes dont l'une seulement prolonge une droite masquée en partie par un rectangle. La vérité, pour s'abstraire de l'illusion, a besoin d'une règle posée sur la feuille car notre oeil nous trompe. Mais, une fois la vérité connue, elle demeure abstraite et inaccessible à nos sens. Savoir ne change rien à nos perceptions. le roman illustre d'ailleurs cette illusion: les voix des deux personnages principaux se croisent au point souvent de se confondre; leurs discours et leurs souvenirs ne se superposent jamais tout à fait. À défaut de règle, dans un effort vain d'exhaustivité, s'ajoutent au texte principal des notes en bas de page et des citations mises en exergue au début de chaque chapitre. Mais, comme il se doit, de même que ce qu'on apprend ne suffit pas à nous révéler le vrai, ce sont les ellipses qui mettent sur le chemin de la vérité, au point que ce double récit d'hommes en colère mais policés aurait pu s'appeler « Histoire de la violence » car ce qui ne peut se dire vient de la peur de ne pas être entendu et faire souffrir peut sembler le seul moyen de faire accéder l'autre à sa vérité intime .
On est donc souvent partagé entre l'admiration et exaspération devant la somme de savoirs déversés dans ces pages. Mais elle relève moins de la didactique que de la supplique: si le savoir ne parvient pas à être le langage commun de tous les hommes, du moins peut-on entendre l'émotion de celui qui nous parle et se reconnaître à travers lui.
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