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Critique de Luniver


Pourquoi des gens qui paraissent sains d'esprit font-ils des choix politiques ou religieux aussi stupides ? La question a déchiré plus d'une famille, et plus d'un pays. Et cet essai n'ambitionne rien de moins que de répondre clairement à la question.

La première partie parle de psychologie cognitive, et de thématiques que j'avais déjà abordé plus complètement avec « Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée  » : les intuitions viennent d'abord, la réflexion ensuite. Se battre à coups d'argument rationnels n'a généralement aucun effet : les gens sont d'abord convaincus intimement de quelque chose, avant de trouver des arguments qui vont dans leur sens (et de trouver les arguments des adversaires ridiculement biaisés).

L'auteur présente une série d'expériences basées sur des récits du type : « Un homme promène son chien, mais voit une voiture le renverser et le tuer. Pour ne pas gâcher la viande, l'homme le ramène et le cuisine pour son repas du soir. » On peut déjà montrer que cette histoire provoque un dégoût moral qui excite exactement les mêmes zones dans le cerveau que le dégoût « physique » qu'on peut éprouver en regardant de la nourriture couverte de moisissure. Et si dans ces histoires, du tort n'est objectivement jamais causé volontairement, les participants deviennent créatifs pour prouver que quand même, c'est mal et que des conséquences néfastes vont forcément se produire ensuite. On note aussi que faire la distinction entre « Moi je ne l'aurais pas fait, mais lui a le droit de le faire » et « c'est universellement mal » n'est pas la norme. Dans la plupart des cultures actuelles et passées, la première catégorie n'existe pas.

La seconde partie du livre aborde les différents types de réflexe moraux. L'auteur en catégorise six :
• le soin : agir en voyant quelqu'un en souffrance ;
• la justice : punir les tricheurs ;
• la loyauté : punir les traîtres ;
• l'autorité : respecter les relations hiérarchiques ;
• le sacré : le fait que certaines choses soient intouchables et ne peuvent pas être remises en question ;
• la liberté : aucune personne ni structure n'a le droit d'en tyranniser ou d'en malmener d'autres.
Ces réflexes moraux sont répartis inéquitablement chez chaque personne, en fonction du milieu, de l'éducation, et de l'expérience de vie de chacun. Si je dis « augmenter les minima sociaux », ça peut activer le « soin » chez quelqu'un (qui va spontanément imaginer une famille incapable de se chauffer correctement), « l'injustice » chez un autre (qui va plutôt imaginer plus de personnes assises devant la télé à 11h en mangeant des chips pendant qu'il travaille) ou encore « la liberté » chez un autre, qui ne va pas comprendre pourquoi on le force encore à financer des nouveaux trucs avec ses impôts alors qu'il n'a rien demandé.
L'auteur souligne que pour construire un discours convaincant, il faut parler à ces six réflexes, et pas seulement aux siens propres. Parler uniquement de « soin » à quelqu'un qui ne voit qu' « injustice », ça ne mène qu'à deux personnes qui monologuent chacun dans leur coin.

La dernière aborde les phénomènes de groupe. Pour l'auteur, nous sommes 90 % chimpanzés (= égoïstes) et 10 % ruche (=collectif). le regard des autres importe, faire partie de groupes nous rassure. Pour se sentir protégé par un groupe, il faut en arborer visiblement les signes (vêtements, sigles, paroles, …) et s'assurer que les personnes tentées de le quitter seront sévèrement punies.

Donc, si on résume : votre éducation et votre expérience de vie vous donnent de forts réflexes sur ce qui est bien ou mal. Vous allez trouver des groupes expliquant que les gens comme vous sont formidables, et que les autres sont des grosses quiches, ce qui vous paraîtra très convaincant. Vous allez exhiber des logos ou crier des slogans, vous liant de ce fait irrémédiablement à ces groupes. À ce stade, c'est terminé : vous ne changerez plus jamais d'avis, à moins d'affronter de grosses crises existentielles ou de profonds bouleversements dans la société.

The righteous mind fait partie de ces rares livres qui vous offrent soudain un nouvel outil pour comprendre le monde, et qui transforment des situations confuses et absurdes en évidences lumineuses. Sur le moment, on a envie de l'appliquer partout ; il faudra apprendre à le ranger dans la boîte avec les autres, et ne le sortir qu'aux moments opportuns.
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