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Critique de Ascyltus


J'ai été un peu déçu par la lecture de ce livre, que j'espérais autrement plus ambitieux. J'ai trouvé un réel intérêt dans le témoignage personnel de l'autrice. Son parcours force l'admiration. La description du calvaire enduré par les femmes confrontées à une grossesse non désirée dans un pays qui punit l'avortement est également très forte.

En revanche, d'assez nombreux défauts du livre m'ont gêné. Il y a tout d'abord un problème d'édition à mon avis. L'édition qu'on trouve actuellement dans le commerce est une « nouvelle » édition de 1992. Or la première édition est très ancrée dans l'actualité immédiate de sa rédaction, mais la date de celle-ci n'est précisée nulle part. J'ai dû faire quelques recherches pour m'assurer que la première édition s'est faite après les élections législatives de 1973, mais avant la mort de Pompidou en 1974. Ce manque de contextualisation empêche le lecteur actuel de vraiment comprendre la situation politique, pourtant souvent évoquée. de même, j'ai remarqué quelques inexactitudes à propos de États-Unis, ou des affirmations nuancées parfois par l'autrice elle-même d'un « je crois ». Je comprends ces approximations dans un texte écrit dans l'urgence ; elles me semblent beaucoup moins acceptables pour un livre plusieurs fois réédité et qui a été enrichi dans une nouvelle édition. L'autrice aussi bien que l'éditeur auraient pu éliminer ces scories et faire procéder à des vérifications.
De plus, je pensais que la réflexion sur le débat sur l'avortement serait plus approfondie. Gisèle Halimi présente de façon convaincante les arguments en faveur du droit des femmes à disposer de leur corps, mais dans le chapitre « L'Alibi », elle dénigre plusieurs fois les arguments des opposants à l'avortement plus qu'elle ne les réfute par une réelle argumentation.
On touche là, à mon avis, le défaut fondamental de ce livre à mes yeux : je m'attendais à la réflexion définitive sur la question d'une de celles qui ont mené avec courage le combat pour ce droit des femmes, mais ce n'est, de l'aveu de l'autrice elle-même (p. 206), qu'un « recueil de propos ». À ce titre, il m'a semblé que ce livre importait moins comme outil pour la réflexion actuelle, si du moins ne nous frappent pas les reculs constatés aux États-Unis, en Pologne, etc., que comme un document historique, témoignage d'un combat porté avec fougue.

C'est pourtant une de ces limites de l'ouvrage qui a attiré ma curiosité. En effet, on sent dans l'ouvrage toute l'influence qu'avait l'idéologie gauchiste dans cette France d'après mai 68. C'est assez normal : c'est conforme aux positions politiques d'Halimi ; c'est là aussi que se situent ses principaux alliés. Il y a donc tout un effort de la part de l'autrice pour démontrer que la « cause des femmes » s'accorde avec les objectifs de la gauche, et plus encore avec la pensée marxiste. Cela montre les difficultés auxquelles elle était confrontée non seulement pour faire agréer son combat, mais surtout pour obtenir des avancées concrètes pour les femmes : les organisations de gauche et d'extrême-gauche étaient elles aussi marquées par la phallocratie ; les féministes étaient accusées de se détourner de la lutte des classes, prioritaire, au profit d'une lutte jugée secondaire alors que les femmes ne constituent pas une classe à proprement parler ; la stratégie de Gisèle Halimi de proposer changements législatifs la faisait passer pour réformiste, ce qui passait à l'époque pour une trahison de l'idéal révolutionnaire. Voir Halimi naviguer, parfois difficilement, entre ces écueils, présenter habilement ses réformes comme des révolutions, plaider pour des actions stratégiquement réfléchies plutôt que des provocations militantes, etc. permet de bien saisir le climat intellectuel de cette période (de même que la description des femmes qu'elles a défendues offre un portrait assez saisissant des classes populaires).
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