Ma mère s'est adoucie, mais elle continue de vivre sur une orbite distincte de celle de son mari et de ses enfants. Nous fonctionnons. Mais quelque chose grippe la machine. Nous boitons, titubons, retrouvons notre équilibre avant de chanceler de nouveau. Nous nous adaptons.
C’est comme si nous entretenions une conversation que nous ne pouvons pas avoir ensemble. Nous nous disons : « Voici ce que je pense et que je ressens. Voici ce dont je me souviens. Voici ce qui m’a rendu heureux. » Nous ne nous disons pas : « Voici ce que j’ai perdu. » Nous ne parlons pas de nos deuils.
Nous nous souhaitons de vivre cette journée avec gratitude et sans crainte. Nous décidons. Nous nous préparons à prendre part à la bienfaisance et à la bonté, en dehors de quoi il n’existe pas de paix.
Cette forme de bonheur nécessite du courage. Elle requiert une volonté d’aimer. Une volonté de pardonner. Une volonté de croire en une sorte de bonté. Elle exige de chacun de nous que nous acceptions la perte et que nous nous offrions à ce que nous avons maintenant.
À l’arrière-plan, la colline s’élevait jusqu’à l’orée des bois, où le petit cimetière abritait tous les Senter qui avaient travaillé cette terre et goûté le repos dans cette pièce lors de soirées tranquilles. Je me suis efforcé d’arrêter de penser à mes manquements. Ici est tout ce qui compte, ai-je pensé. Ici et maintenant. Et représente mon amour ainsi que ma façon de le donner.
Je redoute parfois de découvrir un jour que je me suis trompé en pensant faire le bien. Et qu’on me le reproche.
Papa dit que nous oublierons certaines choses, que l’oubli est une bénédiction cachée à l’intérieur des mauvaises choses.
Il se trouvait tout à côté de Sonny, et quelque chose d’horrible lui est arrivé là-bas. J’ignore où est la différence entre oublier et se souvenir
Quand Dodie est née, chez nous, dans notre lit, Sonny attendait en bas avec May. Il n’avait que deux ans. Dès que nous l’avions invité à venir voir sa sœur, il avait voulu la prendre. J’ai toujours pensé que quelque chose les avait instantanément liés. Sonny l’avait regardée en silence. Puis il avait dit : « Mon bébé. » Il avait souri, et notre lit, notre magnifique chambre, notre maison avaient été emplis de ce quelque chose de si grand qui nous lie de façon si intime. L’amour, mais bien plus encore. L’amour et la lumière. J’ai toujours eu le sentiment que Sonny apportait de la lumière dans ce monde.
Et maintenant ? Je veux rendre cette lumière à ma pauvre, pauvre femme et à mes enfants.
Aucun de nous n’a plus le luxe d’avoir besoin de quoi que ce soit désormais.
– Ce n’est pas une option, ai-je fait valoir. Tu as une famille, Doris. Tu m’as, moi. J’ai besoin de toi. Tu as besoin de Dodie et de Beston. Ce sont tes enfants. Ils ont besoin de toi. Viens avec moi, maintenant.