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Critique de CorinneCo


J'ai commencé à écrire mon impression sur ce livre de Joseph Hansen en ayant un sentiment mitigé, non plutôt un sentiment de perplexité. Pourquoi n'avoir écrit qu'un seul livre avec ce personnage ? Nathan Reed. Bon chacun fait ce qu'il veut, d'accord. Toutefois, la dernière page terminée, on se pose des questions : Que devient Nathan Reed ? Et le jeune sergent Steve Schaffer partit dans l'enfer du débarquement en Normandie ? Nathan réussira-t-il à revoir son père une dernière fois et à s'expliquer ? Réussira-t-il à oublier Hoyt Stubblefield ? Aura-t-il le courage de consulter la liste des blessés et disparus comme lui conseille de faire le sergent Schaffer pour savoir si celui-ci va revenir du combat ? Je me disais, si ça avait été moi, j'aurai écrit un deuxième livre. J'aurai pris des nouvelles de Nathan Reed, histoire de voir comment sa vie avait évolué au sortir de la guerre. J'ai donc laissé de côté mon écriture avec un sentiment de légère frustration et j'ai navigué sur le net pour en connaître un peu plus sur Joseph Hansen. Maigre résultat. Mais j'ai découvert qu' « En haut des marches » fait partie d'une trilogie « Nathan Reed » : Jack of hearts, Living upstairs, Cutbank Path, d'un projet de Joseph Hansen d'écrire douze livres, une saga en quelque sorte sur la vie de Nathan Reed. Seul « Living upstairs » a été traduit en français. Et seul trois livres ont vu le jour. Mon impression d'inachevé d'un seul livre n'était donc pas vaine. Ma satisfaction personnelle (en tant que personne qui lit et qui écrit) étant ce qu'elle est devant cette découverte je vais pouvoir parler d' « En haut des marches ». L'action se situe entre 1943 et 1944. Nathan est un jeune homme mineur de 19 ans installé à Los Angeles. Il est le fils unique d'une cartomancienne Alma et d'un musicien ambulant Franck, venants de l'Iowa et vivants à Minneapolis. Présenté comme un garçon en pleine forme, l'armée n'a néanmoins pas voulu de lui en cette période de guerre . La cause ; une méchante pneumonie contractée à son adolescence. Après avoir fait l'ouvrier dans une pépinière, il travaille maintenant dans une librairie. Avec sa paye bien maigre Nathan Reed vivote dans un univers rythmé par les restrictions, les tickets de rationnement, les étalages vides, les pénuries en tout genre, l'écriture de son premier roman et son premier grand amour :Hoyt Stubblefield. Nathan Reed est un brave garçon, naïf, intelligent, travailleur, doté d'un certain sens de l'humour, encore un peu étonné de se retrouver dans cet environnement de personnes non conventionnelles. Mais il le dit lui-même, c'était sûrement ce qui devait arriver en s'installant à Hollywood. Tout simplement. Il découvre aussi avec curiosité et même parfois stupéfaction l'univers homosexuel (ses bars, ses fêtes, sa marginalisation). Ce grand garçon de 20 ans, que tous s'accordent (hommes ou femmes) à trouver magnifique, espère être édité. Il résiste aux avances, aux dragues, aux compromis des uns et des autres ; ce n'est pas le genre à profiter de sa beauté (je remercie Joseph Hansen de n'avoir fait aucune description physique ou si peu) il ne pense même pas au cinéma (alors que certains le verraient bien en vedette hollywoodienne). Lui il veut être écrivain et vivre pleinement, simplement et tranquillement son amour avec Hoyt Stubblefield, envers et contre tout et tous. On peut dire que c'est un coup de coeur, un coup de foudre. Réciproque ? Difficile à dire. Qui est donc Hoyt Stubblefield ? C'est un jeune homme de 26 ans, vagabond texan, en rupture de ban avec sa famille d'Amarillo, artiste peintre ayant fait tous les métiers de terrassier à plumeur de poules, mystérieux, menteur et peut-être manipulateur. Hyot est communiste présumé. Nous ne sommes pas dans l'ère McCarthy mais elle arrive doucement et les alliés de maintenant vont devenir l'épouvantail conscient et inconscient des Etats-Unis.
Stubblefield a-t-il tué Eva Schaffer, la pasionaria communiste (la mère du soldat....) ? Est-il un espion à la solde d'une obscure fondation d'ultra-droite ? Travaille-t-il pour le gouvernement ? Voici donc la maigre intrigue qui fait que ce livre est à mon avis classé dans les polars. Toutes ces questions sont en fait assez secondaires. C'est un chemin de traverse qui enlace le véritable sujet du livre : Nathan Reed. Nathan ne veut pas quitter Hoyt, pourtant celui-ci et tous les autres lui conseillent. Il veut avoir confiance, même si cette confiance chancelle parfois. Il veut vivre le plus honnêtement possible, avec tous et avec lui-même mais le peut-il ? Est-il condamné à rester en marge ? L'homosexualité était alors un délit passible de prison et d'amende et le restera encore de nombreuses années aux États-Unis. Joseph Hansen n'est pas un défenseur flamboyant de la cause homosexuelle, il aborde le sujet sans pathos (merci à lui) d'une écriture classique et élégante où chaque mot est pesé. Hansen est un militant lambda qui sait que la lutte contre la discrimination et pour l'acceptation est toujours en marche. Il disait : « L'aspect kitsch et démonstratif de la culture homosexuelle m'irrite, car c'est le seul qui soit visible. Mais ça ne correspond pas à la réalité.». Il revendiquait un monde homosexuel multiple (c'est ce qui est dans le livre) et pas uniquement peuplé de grandes folles, d'efféminés et de toute la panoplie des clichés. le monde d'Hansen est d'abord un monde qui se débat avec le quotidien (non sans humour), avec ses doutes, ses erreurs, ses rêves, ses souffrances et ses joies. Ce langage est universel. La vie courante de Nathan est parcourue d'artistes fauchés, ringards, qui rêvent de leur gloire passée ou future, de travailleuses et travailleurs qui triment. En toile de fond, la guerre et surtout Hollywood, l'aimant incontrôlable, qui caresse ou lamine, ou les deux à la fois. Nathan fait face à ses propres désillusions et angoisses, à ses questionnements sur sa « nature » mais il le dit lui-même « autant essayer de changer la couleur de mes yeux », aux vacillements de ses sentiments – le jeune et beau sergent Schaffer qui lui a dit qu'il ne l'oubliera jamais et qu'il espère que Nathan l'aimera un jour, tourmente son coeur. Que peut-on lui souhaiter à ce bon coeur, dans la cité des anges ? Ce que l'on peut souhaiter à toutes et tous. Là-bas, ici, ailleurs. Dans l'universalité des genres et du monde. Une place au soleil.
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