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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2015, coécrits par Gabriel Hardman & Corinna Bechko, dessinés, encrés et lettrés par Gabriel Hardman, avec une mise en couleurs de Jordan Boyd.

En 2843 sur la planète satellite Maidstone (autrefois appelée Avalon), le reporter Corger Babb enquête sur le régime politique Malory, aujourd'hui disparu. Il interroge les gens dans la rue sur le fait que cette gouvernance a connu une fin. Il se fait envoyer balader par tout le monde. Par le plus grand des hasards, il met la main sur une pile de papiers qui ne sont autres que le journal de Maia Reveron, cousine d'Arthur McBride, une figure politique controversée de cet ancien régime.

Ce journal commence 42 ans plus tôt, alors que Maia Reveron et Arthur McBride se nourrissent chichement sur une plage appelée Bright Rock, ayant fui la plantation dans laquelle ils travaillaient. Ils sont interpellés par un groupe de 4 soldats en maraude. L'affrontement est inéluctable et brutal. Ils deviennent des fuyards. L'un des soldats a survécu, Sasha O'Hand, et est capable de les identifier.

En 2015, Image Comics continue d'être un éditeur qui sort énormément de nouveautés, dans des genres qui évitent le plus souvent les superhéros. le lecteur voit ainsi arriver ce récit de science-fiction, essentiellement réalisé par un dessinateur dont le style évoque celui de Michael Lark, avec une mise en couleurs qui évoque celle d'Elizabeth Breitweiser. Pourtant dès le départ, le ton est spécifique. En surface, Hardman semble utiliser un trait un peu épais, un peu imprécis, conférant une bonne densité de noir sur chaque page. La mise en couleurs se base sur des tons un peu ternes, légèrement foncés (pas au point de masquer les traits), donnant une apparence un peu sombre, un peu cafardeuse.

À y regarder de plus près, Gabriel Hardman dessine de manière plus précise et plus détaillée que Lark. Une mention indique sur la première page que le récit se déroule en 2843. En regardant les dessins, le lecteur constate que les constructions ont un petit air futuriste, mais rien de clinquant, plutôt des constructions marquées par l'usure du temps. Les véhicules présentent des carrosseries assez semblables à celles d'aujourd'hui. Les tenues vestimentaires sont également passepartout. Il reste des satellites, des vaisseaux spatiaux, des drones et une moto de type futuriste. Cet aspect familier s'explique par le fait que la société sur Maidstone a été délaissée par la société d'Asan, la planète mère, et qu'elle fait avec ce dont elle dispose, c'est-à-dire une technologie bas de gamme.

Ce n'est pas pour autant des décors et des accessoires du pauvre. L'artiste construit et montre un environnement présentant une solide cohérence graphique, qu'il s'agisse des tenues vestimentaires adaptées à chaque endroit et au niveau de revenus des personnes les portant, de l'ambiance urbaine, ou encore de celle des faubourgs, avec le centre d'apiculture. le lecteur éprouve bien l'impression de se trouver sur une planète lointaine, à l'histoire inconnue, avec ce qu'il faut de décalage par rapport au quotidien terrestre pour assimiler que le récit se déroule dans le futur.

Le récit se déroule dans plusieurs sites de nature différente. le bord de mer est sauvage à souhait, avec des rochers râpeux, une mer légèrement agitée de vagues venant s'écraser sur lesdits rochers, et une faune extraterrestre, évoquant des crabes de par leur carapace, et leur mode de progression. Les déplacements de Croger Babb montrent une ville usée, sans être délabrée pour autant, avec une population fatiguée par une guerre civile encore assez récente, résignée à une forme de dictature économique due à une crise prégnante, et des traces discrètes des affrontements passés telles que des affiches de propagande à moitié arrachées.

Au fil du récit, Gabriel Hadman réussit des séquences qui plongent le lecteur dans l'environnement, aux côtés des personnages. Il peut s'agir d'un affrontement physique sec, brutal, sans aucune forme de romantisme ou de glorification de la violence (Maia Reveron et Arthur McBride se battant contre les soldats), le lecteur ressentant l'âpreté des rochers, et les éclaboussures des vagues. Il peut s'agit d'une situation périlleuse, comme le journaliste Babb suspendu dans le vide, accroché par une main à une vitre brisée. Sans que l'artiste ne détaille l'aspect gore de la blessure, le lecteur ressent la coupure du verre s'enfonçant dans la chair, ainsi que l'élan vital du personnage le poussant à tenir bon.

Hardman est tout aussi convaincant quand il décrit des scènes de dialogues. Il conçoit des mises en scène dans lesquelles le jeu des acteurs évite qu'elles ne soient trop statiques. Ainsi quand Reveron et McBride se disputent à haute voix sous un pont, le lecteur apprécie le jeu des ombres générées par les caillebotis des grilles au-dessus de leurs têtes, et leurs mouvements vifs du fait de leur état émotionnel troublé. Quand Babb et Woronov (une journaliste avec de l'ambition) discutent dans l'appartement de cette dernière, le jeu des acteurs fait qu'ils bougent, se déplacent, vaquent à leurs occupations, donnant ainsi des informations visuelles complétant ce qu'ils se disent.

Ainsi immergé auprès des acteurs, le lecteur découvre une situation complexe. Il y a donc une sourde chape qui pèse sur la société de Maidstone en 2843. le lecteur remarque des indices qui laissent supposer une forme de dictature, ou du moins de société fortement policée. Au détour d'une conversation, il comprend que les habitants ont le choix de se résigner à vivre sur cette planète, dans des conditions de vie offrant un confort limité, des revenus peu conséquents, sans descendre en dessous du seuil de pauvreté. Il comprend à demi-mots que Croger Babb essaye d'expier une faute qui pèse sur sa conscience. Il voit que sa collègue Woronov voit en lui une possibilité de sortir de la routine sans gloire de sa position de téléreporter.

Les actes d'Arthur McBride montrent qu'il s'agit d'un individu aux abois, prêt à recourir à une violence létale pour conserver sa liberté. Les commentaires de Maia Reveron (dans les cellules de texte) indiquent qu'il y a quelque chose de pourri dans cette histoire. Arrivé à la fin de ce premier tome, le lecteur a pu apprendre à connaître les personnages. Il en sait un peu plus sur Croger Babb, pourquoi il est considéré comme un pestiféré dans la profession, pourquoi il a une piètre opinion de lui-même, et pourquoi il s'accroche tant à cette enquête nébuleuse. Bechko et Hardman ont fourni les informations de manière naturelle, sans recourir à un gavage du lecteur, et dans une forme qui participe à montrer le caractère de ce personnage. de la même manière, il comprend bien la motivation de sa collègue Woronov.

De la même manière, le lecteur voit Arthur McBride et Maia Reveron agir sous ses yeux. L'histoire personnelle de McBride n'est pas abordée ; il ne peut donc que constater sa capacité à se battre, et sa détermination que l'on peut qualifier de farouche. Les auteurs donnent plus de place à Reveron, permettant au lecteur de mieux la cerner. Il s'agit d'une jeune femme déterminée à exercer sa liberté de choix, avec une forme de conscience politique, ou tout du moins économique, qui lui permet de se rendre compte de l'étroitesse de la place que la société lui a réservée en son sein. le lecteur assiste à son éveil politique. Elle n'est pas une héroïne maîtrisant son destin. Elle plus un individu normal ayant décidé de refuser de capituler devant le système, avec des conséquences très concrètes et pragmatiques puisqu'elle devient SDF pour un temps.

Arrivé à la fin d tome, le lecteur s'interroge sur le fond du récit. Finalement il n'a pas appris grand-chose sur l'histoire politique de Maidstone, pas grand-chose sur l'ascension au pouvoir de McBride, et pas grand-chose sur les enjeux réels de l'enquête de Croger Babb. de ce point de vue, il reste même sur sa faim. le coeur du récit est donc à chercher ailleurs. En fait, les auteurs montrent l'engagement politique de Croger Babb et de Maia Reveron (42 ans plutôt). le lecteur voit comment les choix de ces 2 protagonistes en font des citoyens qui dérangent. Il y a un vrai engagement qui n'a rien d'héroïque, qui ne résout pas les conflits avec les poings, qui n'en fait pas des héros acclamés par tout un peuple. En fonction de ses attentes, le lecteur peut ressentir une forme de déception à la lecture d'un récit à la fois spectaculaire, à la fois très pragmatique, et à la découverte d'une intrigue qui n'en dit pas beaucoup.

À contrario, il peut aussi apprécier une narration qui accepte le spectaculaire, pour maintenir l'attention du lecteur par des séquences visuelles, et qui se situe au niveau de l'individu normal pour montrer ce que l'engagement politique peut avoir d'ordinaire, presque de banal quand on n'est pas un leader. La deuxième chose qui fait l'originalité de ce récit est que Maia Reveron et Croger Babb sont des individus constructifs, ils ne se contentent pas de partir en croisade pour dénoncer, dans une position de rebelle un peu facile. 5 étoiles pour un récit politique qui ne sacrifie rien au divertissement, et au genre de la science-fiction.
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