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Critique de Lucilou


Takeo est mort.
Muto Kenji aussi, et ça fait encore un mal de chien.
Et puis j'en veux encore à Kaede, je me sens tellement trahie.
Takeo.

J'ai tellement aimé "Le Clan des Otori", je l'ai lu si souvent que c'est au-delà du raisonnable. J'en aime chaque page, chaque péripétie. J'en chéris chaque drame, j'en chéris jusqu'aux souffrances que m'a infligé impitoyablement "Le Vol du Héron", ce tome en forme de chant du cygne qui s'achève en tragédie sublime.
Sang et larmes, amours mortes et amertume. Et puis le feu et le poison. le sabre et le fracas des combats. La passion qui consume. Et puis la haine.
Je ne sais pas parler du Clan des Otori, pas vraiment. Je le dénature en en parlant, je lui fait perdre de sa force: dommage. Une tempête ne se décrit pas -à moins de s'appeler Victor Hugo-, elle se vit.
C'est pareil pour les Otori.

Quand j'ai appris que Lian Hearn avait écrit une suite, j'ai eu un moment d'hésitation: et si c'était le livre de trop? Et si ce n'était qu'un coup médiatique, du fan service? Et si elle abîmait ce qu'elle a créé? J'étais d'autant plus dubitative que, bien qu'ayant beaucoup, beaucoup aimé les quatre volumes de "Shikanoko" -le préquel qu'elle a donné aux Otori, je l'avais quand même trouvé en dessous de la saga originelle. Est-ce parce qu'objectivement, l'histoire de l'enfant du cerf est en dessous de celle de Takeo ou bien parce que j'aime bien trop cette dernière et d'un amour sans partage? Allez savoir...
Certes, j'ai eu des doutes mais je suis faible, très faible, j'ai donc précommandé "Les Guerriers Orphelins", guetté mon facteur comme la pire des concierges et lorsqu'enfin j'ai pu serrer contre moi le précieux colis et l'ouvrir, je ressemblais bien plus à une furie sous acide qu'à une adulte responsable.

Il n'y a pas de plaisir plus grand que celui qui précède l'instant magique du début, ce moment fugaces, ces secondes fugitives où on sent, où on sait ce qui nous attend. C'est le moment des trois coups au théâtre, des lumières qui s'éteignent au cinéma, du silence épais et un peu magique qui tombe sur le public juste avant l'entrée en scène du groupe ou du chanteur. C'est le moment aussi où l'on ouvre le livre.
L'estomac se serre un peu, les nerfs se tendent, le coeur manque un battement puis accélère un peu. C'est le moment.

Je suis retournée chez les Otori. C'était étrange d'y mettre les pieds sans Takeo, sans Kenji. Très étrange. C'est triste, trop triste et ils me manquent tellement. C'est comme retourner dans la maison de quelqu'un qu'on a aimé puis perdu. Ce silence. Je suis restée pourtant, pour tous les autres qui sont là, eux: Kaede, Miki, Makoto, Shigeko, Isaho et que j'ai été heureuse de retrouver.
Le roman s'ouvre quelques semaines après la fin du "Vol du Héron". Takeo a péri des mains de son fils, Kaede est inconsolable (j'espère bien qu'elle souffre!) et à Terayama, les sages tentent de faire perdurer l'oeuvre du souverain défunt tandis qu'en bas, Sire Saga rompt un à un tous ses serments, avec une cruauté qui confine à la folie. Auprès de lui Shigeko s'étiole. Ils sont nombreux pourtant à vouloir résister au potentat sanguinaire, par fidélité à la mémoire de Takeo, par amour, par haine, par intérêt aussi mais dans ce monde cruel et tout de faux semblants et de violence, à qui faire confiance? L'espoir et la lumière n'ont pas droit de cité dans une société divisée, en proie à la folie. D'autant plus que la Tribu est toujours là, dans l'ombre, prête à jouer une partition indéchiffrable... Il faudra compter également sur Hisao et son pouvoir inquiétant et sur les passions et les rancunes enfouies, prêtes à s'enflammer et à se déployer dans une fresque guerrière au souffle grandiose.
Tout cela nous est raconté à travers les yeux du petit Sunaomi, neveu de Takeo. Parce que ses parents furent des traîtres (je les ai tant maudits!), lui et son frère sont condamnés à devenir moine. Cependant, dans les veines de l'enfant coule aussi le sang des Muto et très vite, sa filiation se rappelle à lui. Son destin est en marche.

Que dire?
Que j'ai été surprise de me retrouver la compagne du petit Sunaomi qui était resté pour moi le gamin timorée de la saga précédente mais que j'ai fini par m'attacher infiniment à lui. C'est un personnage subtil, traité avec beaucoup de délicatesse.
Que j'ai été heureuse de reprendre le fil de l'histoire là où elle s'était arrêtée. Il y avait tant de choses en suspens, de trames non résolues. Les charbons étaient ardents, la soif de savoir inextinguible.
Que j'ai été ravie de retrouver la plupart des personnages. Toutefois, si l'évolution de la plupart m'a parue on ne peut plus convaincante, j'ai été un peu surprise de voir à quel point Hisao avait changé, tout comme Hiroshi. Ces évolutions sont logiques mais elles me paraissent rapide par rapport à la temporalité choisie.
Que j'ai adoré l'idée que cette nouvelle saga permettre au "Clan des Otori" et à "Shikanoko" de se rejoindre. C'est mystérieux, intelligent et bien pensé tout comme j'ai adoré certaines trouvailles, à base de poupées et de figurines.
Que j'ai regretté que le tome se résolve quand même un peu trop vite, un peu trop facilement. Lian Hearn nous avait habitué à plus de complexité.
Que j'ai trouvé que la part de fantastique, elle aussi, manquait un peu de subtilité.
Que j'ai retrouvé avec bonheur dans "Les Guerriers Orphelins" la poésie et le souffle d'une écriture onirique, fine et flamboyante, ainsi que cette atmosphère sombre, crépusculaire que je chéris particulièrement. Cette ambiance lourde de complots et de tragédies.
Que j'ai espéré ardemment les fantômes de Kenji et de Takeo, que je les espère encore, que je les espérerai toujours.

Que si clairement, ça ne vaut pas "Le Clan des Otori", c'est quand même passionnant, captivant et que j'attends la suite.

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