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Critique de Lazlo23


Les poèmes d'Anne Hébert (1916-2000) nous parlent d'arbres, de lampes, de champs, de rues... Et pourtant, voici que cette réalité toute simple, toute nue, on a l'impression, en lisant ces vers, de la redécouvrir. Sous la plume de la grande poétesse québécoise, choses et mots acquièrent une jeunesse saisissante et une étrangeté qui n'appartient qu'aux rêves.

Dans le poème « Naissance du pain », il est ainsi question « de faire parler le pain »... Mais ce « récit » de la fabrication d'une miche de pain, «cette lente maturité de la croûte et de la mie » se double de l'évocation cosmique de la création du monde, associée à la germination du blé et à celle des moissons. C'est également l'occasion d'évoquer le rôle du pain comme aliment civilisateur, séparant l'homme de l'animal, un aliment capable de faire naître un dieu, « enfant blême, au bord des saisons mis en croix »...

Quand on lit à la suite les quatre recueils composant « Ouvres poétiques, 1950-1990 », on est très vite frappé par la cohérence d'une voix, qui se trouve dès les premiers vers, et que l'on reconnaîtra tout au long du livre : une voix sans fioriture, qui ne cherche pas à en mettre plein la vue, mais plutôt à dire le monde au plus juste et au plus près. « Et moi, je crois à la vertu de la poésie, je crois au salut qui vient de toute parole juste, vécue et exprimée », proclame Anne Hébert.

Mais, cette édition qui couvre quarante années de création poétique permet aussi de mesurer des évolutions. Après une première période assez sombre, hantée par des images de dépression, de solitude et de mort (« Il y a certainement quelqu'un/Qui m'a tuée/Puis s'en est allé/Sur la pointe des pieds/Sans rompre sa danse parfaite... »), l'auteur accède à une forme d'apaisement qui se traduit par un passage du « je » au « nous », ou au « tu ». Les thèmes sont alors ceux de la libération et de la (re)naissance, combinés aux motifs de la neige, de l'oiseau, de la pluie et du vent, qu'Anne Hébert partage avec Saint-John Perse. Comme chez ce dernier, le vers devient plus ample, le poème s'allonge et la forme du verset s'impose peu à peu :
« La vie est remise en marche, l'eau se rompt comme du pain, roulent les flots, s'enluminent les morts et les augures, la marée se fend à l'horizon , se brise la distance entre nos sœurs et l'aurore debout sur son glaive. »

Dans les poèmes les plus récents, l'ouverture au monde s'accentue encore, avec des textes à nouveau brefs, plus accessibles et des évocations un peu plus anecdotiques : la nage, l'été, le matin (« C'est un matin ordinaire/Tout gris de nuit/Comme une taupe secoue la terre /Sur son pelage d'argent... »)

Signalons enfin toute une série de poèmes d'amour, qui comptent, à mon avis, parmi les plus beaux de la poésie contemporaine : chez Anne Hébert, l'amour n'est pas une expérience simple, et n'est jamais de tout repos ; il se gagne à chaque instant, et même dans les moments de plénitude, la menace de la dislocation du couple continue de planer ; c'est le cas par exemple dans le poème « Amour », qui se termine ainsi : « Toi, le mystère repris, toi, mon doux visage étranger, et le coeur qui se lamente dans mes veines comme une blessure. »

Vous l'aurez compris, la poésie d'Anne Hébert exige beaucoup de son lecteur ; elle est âpre, violente, difficile, mais belle aussi, et addictive : pour qui y a goûté, difficile ensuite de l'oublier.
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