Il en profita pour expédier ses devoirs et retrouver le petit monde rassurant de sa chambre. Cette dernière croulait sous un bric-à-brac organisé d’outils, de schémas, de dessins et d’idées diverses et variées. Lou n’avait qu’un seul pied dans la réalité ; l’autre se trouvait dans le monde merveilleux que le cinématographe, le théâtre et les spectacles de toutes sortes permettaient d’atteindre. Œuvrer dans l’un de ces lieux d’illusions magiques, en tant que travailleur de l’ombre et créateur de miracles éphémères, était son rêve depuis tout petit.
C’est là que j’ai vraiment commencé à haïr ce pays. Je voulais partir, peut-être moins pour voir le soleil dont certains livres interdits nous vantaient la beauté, que pour côtoyer enfin la réalité en face ; je voulais partir dans un endroit où personne ne pourrait plus me faire croire ce qui n’était pas vrai, me faire croire ce que l’on voulait que je croie.
La chanson se poursuivit, dans sa lente et chatoyante mélancolie. L’accompagnement au piano ressemblait à une superposition de cercles concentriques ; les mains de la musicienne s’étaient d’abord cantonnées au centre du clavier, pour s’écarter de plus en plus, de strophe en strophe. Lorsque la main gauche eut joué la note la plus grave et la main droite la plus aiguë, elles se rapprochèrent à nouveau, en même temps que renaissait l’espoir dans les paroles. Au moment précis où les deux amants se retrouvèrent, les deux notes au centre du clavier retentirent en un seul et même accord, et le morceau s’acheva, sous de bruyants applaudissements.
La bonne fortune fonctionnait ainsi, une grande partie du temps : pour que certains en profitent, d'autres devaient en pâtir.
Chaque chose a plusieurs facettes. Comme les êtres humains, comme les animaux. Rien ni personne n’est complètement lisse.
Il ne voulait rien, ne demandait rien, à part de profiter des petits instants de bonheur que l’existence pouvait lui accorder.