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Critique de Charybde2


Face à l'empire si sûr de lui du père abusif, l'émancipation paradoxale par la langue en flux continu, balayant tragiquement et tendrement les obstacles du qu'en-dira-t-on.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/01/03/note-de-lecture-linamour-benedicte-heim/

« On » le dit inadapté, craignant gravement le soleil sur sa peau qui provoque chez lui de dangereuses crises de convulsions, incapable de retenir ses leçons fournies à la maison – car l'école n'est pas pour lui, il y créerait trop de honte pour la famille -, lent à comprendre – lorsque cela arrive – ce qui est attendu de lui, maladroit dans ses paroles et dans ses regards. Pourtant, derrière son masque de silence fréquent et d'intériorité ferme, il saisit au plus haut point ce qui l'entoure – quand bien même la mécanique interprétative lui fait défaut -, voit tout, entend tout et n'en pense pas moins, à sa propre manière. Face au père dictatorial, imbu de ses prérogatives et de sa surface sociale, à la mère tendre mais si soumise, à la fille aînée brillante rêvant secrètement d'autres horizons et à la fille cadette de plus en plus déboussolée, son flux de pensée et de perception à haute intensité pourrait bien constituer in fine l'ultime ligne de défense d'un dysfonctionnement familial total pourtant socialement si facilement accepté – car la domination, patriarcale ou autre, a toujours et encore plus d'un tour dans son sac, tant que de nouvelles formes de « shaming » ne s'en mêlent pas.

Bénédicte Heim est certainement l'une des plus redoutables créatrices de langue ad hoc qui soient actuellement.

Comme en écho à l'Andréas Becker de « L'effrayable » (2012) ou de « Nébuleuses » (2013), ce « L'inamour », publié chez Quidam en octobre 2022, démontre à nouveau, et au plus haut point, après ses « Je suis l'autre moitié de ton péché » (2013) et « Hautes coutures » (2019), pour ne citer que deux de ses 24 textes (on ne saurait oublier aisément « une archère malhabile, une anémone qui pointe dans une marée d'étincelles »), comment la littérature peut construire en permanence – et en puissance – les conditions poétiques d'une émancipation politique, sans jamais s'installer dans la maladroite trace directe du prêche.

Avec patience et acuité, par la création d'un regard hors normes, véritablement singulier jusque dans les moindres détails de son langage, Bénédicte Heim exhume ici toute la vacuité du discours méritocratique traditionnel (et de son nuage fumigène bourgeois), avec sa visée moralisatrice en réalité presque uniquement socio-économique. Utilisant avec un extrême brio, au coeur de sa tragédie qui n'est pas uniquement domestique, les rusées figures-relais d'un prêtre et d'une petite voisine vivant dans une famille qui n'est pas, elle, vouée à l'inamour, elle nous offre un poignant détricotage de ce qui est bien, au fond et depuis longtemps, « DÉJÀ MORT ».

On profitera de cette occasion pour noter à nouveau l'immense talent du concepteur graphique Hugues Vollant, à qui l'on doit une bonne partie des couvertures de Quidam éditeur depuis quelques années. Sa fusion de la photographie de Jason Rosewell et du dessin de Ernst Haeckel (que l'on avait pu découvrir dans le n°6 de la revue La Moitié du Fourbi, grâce à Hugues Leroy), dépassant la beauté fortuite des machines à coudre, des parapluies et des tables de dissection, est tout simplement extraordinaire.

La photographie de Bénédicte Heim, ci-dessous, est due au talent de Antoine de Kerversau.
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