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Critique de berni_29


J'ai aimé ce livre, mais comment parler de lui ? Le sel de la vie est un livre court qui ne révolutionnera pas la littérature française. Il ne figurera pas dans les oeuvres essentielles qu'il faut lire. Il ne sera pas sur votre table de chevet. Et pourtant, ce livre ne m'a pas laissé indifférent. Forcément, une forme d'émotion m'empêche d'être objectif. Figurez-vous que j'ai découvert Françoise Héritier à une émission littéraire, La Grande Librairie pour ne pas la nommer, un certain 09 novembre 2017. J'ai été fasciné par cette femme de caractère, toute fragile dans son fauteuil roulant, elle parlait de son dernier livre et de son itinéraire d'ethnologue. Cette émission me donna l'envie d'emprunter un ouvrage conseillé lors de cette soirée, le sel de la vie, livre qu'elle avait écrit quelques années auparavant. La semaine suivante, cette femme remarquable décédait, rongée par une maladie orpheline qui ne la quittait plus depuis de très longues années, contractée lors d'un de ses voyages exploratoires en Afrique.
Ce livre est resté longtemps sur ma table de chevet. Je ne savais pas qu'en faire. Je l'ai rendu, puis repris. Puis je l'ai lu d'une traite. C'est un livre court, qui, étonnement, ne se lit pas facilement. Au premier abord, nous serions tentés de le situer dans la catégorie de livres tels que La première gorgée de bière. Or, la démarche est légèrement différente. Je veux ce soir vous en parler un peu.
Nous savons maintenant que lorsque Françoise Héritier a écrit ce livre, elle était déjà malade, très malade. Dans le texte qui nous est offert, nous devinons par moment son état de santé, nous lisons par instant des allusions à la maladie, au milieu hospitalier, au temps qui passe. Ephémère. Sans doute, Françoise Héritier, écrivant ces lignes, connaissait peut-être déjà l'échéance proche de sa mort. Cependant, le texte n'en parle pas. Il se concentre vraiment sur l'instant où ce texte fut écrit.
Ce livre n'est pas important. Il n'est pas un coup de coeur. Et pourtant je l'aime, je voudrais partager cela avec vous. Il faut prendre ce livre pour ce qu'il est et le laisser pour ce qu'il n'est pas.
La démarche est humble et en même temps, forcément elle s'appuie sur le regard scientifique de l'auteure. Décrire des instants de nos vies. Les écrire. Dire leur importance, autant sur le plan événementiel qu'émotionnel. "Caresser la peau douce et flétrie des mains d'une vieille dame..." L'exercice de style, car c'en est un, est une lettre, une réponse à un ami écossais de l'auteure.
En préambule de son livre, Françoise Héritier nous dit : « Il y a une forme de légèreté et de grâce dans le simple fait d'exister, au-delà des engagements politiques et de tous ordres, et c'est uniquement de cela que j'ai voulu rendre compte, de ce petit plus qui nous est donné à tous : le sel de la vie ».
Puis s'ensuivent des phrases, sans queue ni tête, et c'est cela que j'aime. Des phrases qui disent ce que l'auteure ressent ou a ressenti à des instants de sa vie. "Faire siffler un brin d'herbe entre ses doigts et ses lèvres..." Elle convoque ici, le banal qui nous ressemble à bien des égards, mais aussi les voyages, d'autres territoires plus lointains de nous, mais qui toujours nous ramènent à ce que nous sommes, nous attendons. Elle parle aussi de ses rencontres, ordinaires ou extraordinaires. Parfois elle écrit : « Mener une lutte sans espoir contre les roulettes des chariots et des porte-perfusions ».
J'aime les phrases qu'elle égrène comme un chapelet. Forcément, à des moments nous viennent des images qui nous ramènent à des choses de nous, des souvenirs, parfois enfouis. Mais ce serait s'égarer sur l'objectif du récit. Si l'on est bien attentif au propos de l'auteure : l'idée n'est pas tant d'entrer dans son texte et de l'aimer, mais plutôt d'en faire une démarche. Et c'est cela la force du texte que nous avons sous les yeux.
Plus tard, L'auteure dit pourquoi elle nous livre ces mots. Ses mots à elle. Elle s'adresse à un ami. C'est une confidence, et nous en sommes complice. C'est une chance. Elle dit l'importance de témoigner de ce que nous ressentons à l'instant présent, de notre aptitude à observer, à faire corps avec le réel. Elle décrit nos sens, elle dit que c'est essentiel. Elle montre que chaque instant de nous vient convoquer notre histoire, d'où nous venons, ce que nous sommes à partir de cela, et forcément ce que nous ressentons, surtout ce que nous ressentons, la joie, la douleur, parfois la mélancolie, parois rien aussi.
Cette litanie de mots et de phrases ne doit pas nous égarer de l'objectif de l'auteure. Rappelons-nous que Françoise Héritier est une scientifique. Elle nous fait une magnifique démonstration et nous invite à partir de son expérience à cheminer comme elle au-dedans de nous. Et aussi au-dehors. Car le dehors de nous est aussi important que le dedans. Même si l'expérience intime de Françoise Héritier n'est pas à prendre à la lettre, n'est donc pas reproductible, je retiens deux ou trois phrases qui me tiennent à coeur, notamment celle-ci que je vous livre ici et que j'aime par-dessus tout, je ne sais pas pourquoi, sans doute parce que j'ai deux matous qui ronronnent autour de moi au moment où je vous écris : « plaquer un gros baiser sur le nez d'un chat offusqué. » J'adore !
Lorsque Françoise Héritier écrivit ce court texte, elle était déjà très malade. Il n'est pas utile de le savoir, mais il n'est pas inutile non plus de le savoir. Quand j'ai refermé ce livre, je me suis dit qu'elle me manquait déjà.
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