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Critique de raton-liseur


C'est peut-être bien le premier roman salvadorien que je lis. Petit pays d'Amérique centrale surtout connu pour la guerre civile qui l'a déchiré dans les années 80. Et c'est de cela dont il est question, ou plutôt, des années qui suivent cette guerre.
Il me faut commencer avec le parti-pris littéraire de l'autrice qui, dans ce livre, ne donne pas de nom à ses personnages, c'est toujours la femme, la première fille qui vit avec elle, la mère, la voisine, rien de plus précis. Aucun pour les lieux non plus, puisque c'est la capitale, le village qui a un nom de cheval, de fleur ou d'insecte. Cette façon de désincarner les personnages, de les anonymiser est assez déstabilisante pour le lecteur, elle le met à distance, rend l'expérience des personnages difficile à approcher. C'est peut-être ce que l'autrice cherche, montrer à quel point l'expérience de la guérilla (mot qui n'est jamais prononcé d'ailleurs, on ne parle que des combattants) met à part, coupe du reste de la société, et que toute réinsertion n'est finalement qu'illusoire, jamais complète, jamais achevée. Cela donne un livre aride, dur mais c'est un parti-pris qui sert le propos même si dans le dernier tiers du livre, avec l'augmentation du nombre de personnages et de générations, j'ai un peu fini par m'y perdre et par me lasser.

Mais cela ne m'a pas empêché d'apprécier cette lecture. Une lecture dure, une lecture qui nous fait sentir à quel point l'empathie a ses limites. Comment croire que l'on peut comprendre ou partager ce que ressent une personne qui a fait la guerre, qui a tué et a vu tuer, depuis le confort de notre fauteuil de lecture au coin du feu ou, pire peut-être, du fond de notre lit où nous nous pelotonnons pour notre lecture du soir avant de nous endormir tranquillement sur nos deux oreilles ?
C'est un livre qui a ses faiblesses peut-être, mais un livre qui m'a fait réfléchir, qui m'a bousculée dans mes certitudes, certitudes d'être humain qui pense partager une sorte de destin commun avec les autres êtres humains qui peuplent cette terre, certitudes de lectrice aussi, de cette lectrice qui se gorge de littérature mondiale en se disant qu'elle comprendra un peu mieux les choses. N'est-ce pas un peu futile et condescendant ?
Cette femme sans nom qui se bat pour assurer son existence journalière et celle de ses filles, cette femme qui a ses démons et ses peines mais qui pourtant toujours reste droite, continue à me hanter plusieurs jours après que j'ai refermé ce livre. Ce n'est pas ce que l'on appelle habituellement de la grande littérature, mais Claudia Hernández fait un sacrément bon boulot pour décrire cette vie (et notamment, je n'en ai pas assez parlé, pour faire sentir ce que c'est que cette pauvreté toujours sur le fil du rasoir, où l'expression « chaque sou est un sou » est une maxime du quotidien, je n'ai jamais, je crois, vu la pauvreté ainsi décrite, et, couplée à la mise à distance du lecteur, cette description fut une sorte de petit choc intérieur pour moi), et donne un livre qui ébranle, qui fait vaciller, qui, et c'est surprenant, nous tend un miroir pour nous demander qui nous sommes face à ces femmes.
Je remercie mille fois les éditions Métailié pour m'avoir permis de lire ce livre via netgalley. Je n'ai pas trouvé dans ce livre ce que la quatrième de couverture me faisait espérer, mais j'y ai trouvé une lecture qui m'a emportée sur des chemins que je n'avais pas vus tracés sur une carte.
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