Je suis étreint par l'émotion. Jamais je n'ai éprouvé de joie aussi grande ni aussi pure.
Il est inconcevable, brusquement, de réaliser son idéal et de se réaliser soi-même.
La mission est remplie. Mais quelque chose de beaucoup plus grand est accompli. Que la vie sera belle maintenant!
Des nuages flottent à mi-hauteur. Ils cachent la douce et fertile vallée de Pokhara à 7000 mètres en dessous. Plus haut, rien!
Le sommet est une crête de glace en corniche. Les précipices de l'autre côté sont insondables, terrifiants. Ils plongent verticalement sous nos pieds. Il n'en existe d'équivalents dans aucune autre montagne au monde.
Mais oui! Un vent brutal nous gifle.
Nous sommes... sur l'Annapurna.
8078 mètres.
Notre coeur déborde d'une joie immense.
"Ah, les autres! s'ils savaient!"
Si tous savaient!
L'arête sommitale se rapproche insensiblement. Quelques blocs rocheux à éviter. Nous nous hissons comme nous pouvons. Est-ce possible?...
La pensée de la fameuse échelle de Thérèse d'Avila me saisit. Des doigts se cramponnent à mon coeur.
Nous bravons un interdit, nous passons outre à un refus, et pourtant c'est sans aucune crainte que nous nous élevons.
Une coupure immense me sépare du monde. J'évolue dans un domaine différent : désertique, sans vie, desséché. Un domaine fantastique où la présence de l'homme n'est pas prévue, ni peut-être souhaitée.