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Critique de Pecosa


Bienvenue chez les ploucs. Dès les premières lignes, Jake Hinkson annonce la couleur. « N'allez pas dans l'Arkansas, me dit le propriétaire du cinéma à Kansas City. »
Les histoires sans lendemain, au mieux vous laissent de bons souvenirs ou, dans le pire des cas, hypothèquent sérieusement votre avenir et Billie Dixon ne va pas tarder à en faire l'expérience.
Texane venue tenter sa chance à Hollywood, elle aurait voulu faire une belle carrière de scénariste. Hélas, pour gagner sa vie elle fourgue des films de série B dans des cinémas paumés des Ozarks pour une boite de production miteuse. Eté 47, elle arrive au volant de sa vieille Mercury à Stock's Settlement et se rend très vite compte que si elle veut vendre quelques films, il va falloir composer avec le pasteur local, Obadiah Henshaw, un vétéran héros de guerre touché par la Grâce divine. Malheureusement pour les affaires de Billie le pasteur, qui voit Satan partout, ne souhaite aucune projection dans sa paroisse. Billie pourrait repartir avec ses films sous le bras, mais voilà, frère Obadiah est marié avec la belle Amberly, et cette dernière lui a tapé dans l'oeil. La vie de Billie Dixon vient de basculer.

En quelques pages, l'intrigue est posée. Le lecteur se frotte les mains devant ce qui s'annonce comme un hommage aux classiques du roman noir, à tous ces polars qui ont planté au milieu de nulle part un voyageur attirant, différent, sans attache, qui fait tache dans le patelin, tombe amoureux de la belle fille du coin mal mariée avec un type qui lui barre la route du bonheur. Sans lendemain est un bel hommage aux romans de James M. Cain. Dans les Ozarks - terre du néo-noir maintes fois arpentée par Woodrell- pour Billie Dixon, le facteur va sonner deux fois.

Le romancier Jake Hinkson a eu la bonne idée de redistribuer les rôles de ce trio fatal et de faire de Franck Chambers une femme libre qui porte pantalons et cheveux courts, et qui se fiche du regard des autres. Effrontée, cynique, intelligente et pleine d'humour, elle est déjà singulière à Hollywood: « Moins d'une semaine après mon arrivée à Los Angeles, j'avais rencontré une ouvrière aux cheveux courts qui m'avait emmenée au Well Well Club dans LaBrea. C'était un monde dont je n'avais jamais osé rêver. Des filles en jean et chemise à carreaux en train de danser avec des dames en jupe et chaussures à talons. Ce fut une période bénie pour moi. Je m'habillais comme Marlène Dietrich et couchais avec des secrétaires et des épouses de militaires. C'était amusant , mais cela ne durait jamais. Echapper aux descentes de police était assez pénible (…). »
Alors forcément dans l'Arkansas, elle ne va pas passer inaperçue et les pèquenauds ont toujours une sainte horreur de la différence. Amberly quant à elle est une Cora inoffensive et un peu nouille (pour rester polie), quant à Obadiah Henshaw , il campe un Nick Papadakis allumé de la Bible et complètement ravagé.

J'ai adoré Sans lendemain. Enfin un Gallmeister qui a pour héroïne une femme qui pourrait sortir d'un roman de Marc Behm, une Lucy de Et ne cherche pas à savoir, une Cora de La vierge de glace, une Edmonde de La reine de la nuit, une femme née trop tôt pour être heureuse, une effrontée marrante et lucide, sur elle, sur l'amour, sur Hollywood: « Dans cette ville, le moindre employé jusqu'au plus petit , le moindre figurant se voit comme un tombeur parce qu'il peut s'offrir sa part de chatte d'actrice en herbe. Les rêves vont mourir sur le canapé des castings, mais que peuvent-elles faire, ces filles, à part se mettre à genoux ou rentrer dans l'Arkansas? Pas une seule jolie fille ne s'est jamais pointée à Hollywood en priant pour finir avec la queue de Bob Hope dans la bouche, mais nombre d'entre elles ont connu ce destin là. »
Le rêve américain n'est pas fait pour les femmes, et Jake Hinkson le prouve avec plusieurs d'entre elles. Amberly, belle et éduquée, a cru toute sa vie que son salut viendrait des hommes et s'est retrouvée dans une impasse. L'adjointe du shérif, Lucy Harington, opiniâtre, et retorse, est une femme née au mauvais endroit, cantonnée dans un rôle d'assistante administrative alors qu'elle est plus intelligente que tous les cerveaux du patelin réunis.

Comme dans ses précédents romans l'écriture de Hinkson est rythmée, concise, sa plume incisive et ses personnages une nouvelle fois se fracassent sur le rêve américain. Adieu Billie, il fallait écouter le propriétaire du cinéma de Kansas City...et merci aux Editions Gallmeister pour ce roman reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.
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