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Critique de Dandine


J'ai des amis litteraires. J'entends par la des amis aux bibliotheques encore plus heteroclites que la mienne. Ils m'offrent un café et je me promene avec. –Eh? Mais ce livre est a moi? --Qu'est-ce que tu racontes? Lache-le tout de suite! –Regarde, c'est ma signature en page de garde! –Je te connais, tu viens de la gribouiller! –Mais je me rappelle de ce livre! –Tu ne te rappelles de rien du tout! Remets ca a sa place! Apres le café je sors, le livre en main. –Tu me le rendras! Ta vie en depend! –Dieu te le rendra! Il vaudra mieux que je le fasse circuler, ton paradis en depend!


Qu'est-ce que j'ai degotte cette fois-ci? Un Marek Hlasko. Un polonais exile dont je n'ai encore rien lu. J'ai gagne a la loterie! Mais d'abord je ramasse quelques renseignements supplementaires. Interdit de retour en Pologne, Hlasko tourne un peu partout, en France, en Amerique, en Israel, en Allemagne ou il meurt a 35 ans dans des circonstances enigmatiques. En Israel il a passe deux ans, appele par un journal auquel en fin de compte il ne donnera presque rien. Vivant de petits travaux, passant un temps dans un kibboutz, il finit ce sejour dans un grand denuement jusqu'a ce qu'une amie allemande vienne le demander en mariage et le ramene avec elle en Allemagne. Mais il aura reussi a y pondre deux livres, dont celui-ci. Quelques amis polonais, des exiles de Gomulka, ne l'oublieront pas. Ils se reuniront en 2010, au 76e anniversaire de sa naissance, dans un café de Tel Aviv, et apres quelques discours apposeront une plaquette dans un immeuble voisin: “Dans cet immeuble, au 54 de la rue Allenby, se tenait l'hotel Victoria, ou habita pendant deux ans le grand ecrivain polonais Marek Hlasko (4.1.1934 – 14.6.1969)”.


Ce livre suit le projet de deux petits arnaqueurs, deux polonais plus tres jeunes, exiles a Tel Aviv. Ils s'attaquent a des touristes esseulees, leur promettant compagnie stable et amour perenne, pour les delester de leur surcharge de dollars (ou autres monnaies, mais surtout pas des livres israeliennes de l'epoque). Pour cela ils preparent une tres meticuleuse mise en scene, et celui qui doit tenir le role de l'aspirant epouseur, le beau Jakub, apprend par coeur les repliques que concocte son comparse, Robert, la tete pensante et decidante du tandem. C'est que, feru de theatre, grand admirateur de Shakespeare qu'il lamente ne pas avoir pu representer sur de vraies planches, le plus important pour lui n'est pas de soutirer de l'argent a ces dames mais de leur donner une representation digne du meilleur public. Et cela donne une esquisse de roman noir ou, en de constants dialogues, eclate un humour malicieux et goguenard. Un humour noir qui revele, par l'intermediaire de deux compares aussi implacables que desesperes, un Tel Aviv sordide, aux bas-fonds peuples d'exiles desempares, reniant tout passe et dont le futur se resume a juste un lendemain. Reniant au passage une ancienne culture qui fond au soleil mediterraneen. Shakespeare est tout juste bon pour une arnaque, et la litterature n'est qu'une chimere. Jakub dira: “Nous perdons la vie en la vivant”. Et Robert, qui avait autrefois nourri de grands projets: “Nous savons comment cela fonctionne. Un jour tu es un ecrivain. Puis tu meurs et tu es un ecrivain maudit. Les annees passent et tu es un auteur culte. Et personne n'a lu tes livres".


L'humour qui se promene dans chaque page ne peut cacher la douleur qui plane sur ce livre, un roman politiquement incorrect, cynique et narquois, incommodant. Un cocktail explosif de roman noir, drame nihiliste et humour sournois. Et cela donne un joyau. Une perle noire echouee sur la plage de Tel Aviv.
Et Hlasko? Lisez le, qu'il ne devienne ni maudit ni culte.
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