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Critique de Soleney


J'ai plongé dans cette saga après avoir appris qu'elle se situait chronologiquement entre la première et la seconde époque de l'Assassin royal. Pas le choix : lire la seconde époque m'aurait (affirme Wikipedia) dévoilé la fin de cette trilogie.
C'est donc par pur sens du devoir que j'ai acheté les trois intégrales des Aventuriers de la mer…

La première différence avec L'Assassin royal, c'est qu'on ne suit pas un seul protagoniste, mais plusieurs. Kennit, Hiémain, Brashen et Althéa sont les premiers à être introduits (si on exclut le prologue), mais rapidement vont suivre Ronica, Malta, Keffria, Vivacia, Maulkin, Kyle… La plupart se connaissent, puisqu'ils font partie de la même famille, mais ils vont très vite être séparés par la distance, chacun vivant des péripéties de son côté.
Mais s'il ne fallait citer qu'un seul personnage, ce serait Althéa. Jeune fille fière et arrogante, cadette d'une puissante famille de Marchands, elle est déterminée à succéder à son père en tant que capitaine de la vivenef de la famille. Mais l'époux de sa soeur aînée, Kyle, s'approprie le vaisseau. Son argument ? C'est un homme ; et à Terrilville, il est de plus en plus coutume de laisser les femmes en-dehors de la vie active – les maintenir dans l'oisiveté est un symbole de richesse et de puissance.
Déterminée à récupérer son bien, Althéa jure de faire ses preuves et de plier son beau-frère. Pour cela, elle s'engage comme mousse sur un navire-abattoir : le Moissonneur.

La seconde différence, c'est qu'on ne s'attache pas aux personnages des Aventuriers de la mer autant qu'à ceux de L'Assassin royal. Ils sont incroyablement pénibles, égoïstes et butés. Le sentiment principal que m'a fait ressentir ce premier tome est la révolte. Révolte contre le comportement de Kyle envers son fils aîné, contre le système esclavagiste de Jamaillia (pourtant perle de culture et cité dominante des eaux du sud), où avoir des dettes et ne pas pouvoir les payer implique de vendre son corps. Révolte contre le mépris des uns envers les autres, contre l'incompréhension des autres envers les uns, contre le comportement vicieux de Torg, contre l'orgueil de Kyle, contre la frivolité maladive de Malta, contre la dureté du quotidien d'Althéa, contre le sexisme de la vie de marin, contre l'égocentrisme et la paranoïa de Kennit, et contre la dureté des épreuves qu'affrontent tous ces personnages.
Car ils vont tous en baver, soyez-en sûrs.


En somme, les personnages sont plus caractérisés par leurs défauts que leurs qualités. À part Hiémain. Obéissant de mauvaise grâce, il se rend vite compte que sa vie paisible d'apprenti est terminée : maintenant que Kyle a mis la main sur lui, il compte bien l'utiliser pour faire naviguer cette foutue vivenef Vestrit.
Car une vivenef est un bateau conscient qui ne peut naviguer qu'avec la présence d'un membre de sa famille à bord. Fabriquées en bois-sorcier, un matériau tellement rare et cher que les familles de Marchands s'endettent sur des siècles pour en avoir une, elles prennent vie après la mort de trois de leurs possesseurs.
À cause de la nature de Vivacia, Kyle séquestre Hiémain, qui est à moitié Vestrit.
(Je sais pas vous, mais moi je comprends pourquoi ça se passe mal entre le père et le fils.)
Mieux : à Terrilville, elles sont symbole de pouvoir. Seuls les Premiers Marchands, ceux qui ont eu le courage de tout risquer pour s'installer au bord du fleuve, en possèdent une. Dans cette ville où l'immigration est croissante et où une culture ancestrale très rituelle se perd au profit de l'ignorance des traditions, la frustration monte.

Le discours de Robin Hobb est profondément féministe. En prenant pour cadre une société caricaturalement patriarcale, elle soulève des situations d'injustice qui touchent encore les femmes aujourd'hui : la certitude qu'elles sont moins compétentes que les hommes, qu'elles ne sont pas faites pour gérer des affaires, que c'est générosité de la part des hommes que de les décharger de toute responsabilité, qu'elles sont faites pour rester à la maison et faire des enfants, qu'elles sont heureuses à mener une vie d'oisiveté, de vêtements et de ragots et que toute femme qui ne correspond pas à ces critères est une hommasse ou une catin.
L'auteure met en avant des figures féminines très différentes qui balaient plusieurs cas :
- Ronica est une femme d'affaire : elle est capable. Négociatrice, gestionnaire, comptable, elle a vécu à une époque où les femmes faisaient le même travail que les hommes. Elle a du caractère et refuse de se laisser marcher sur les pieds, mais les nouvelles lois sociales la contraignent à se soumettre à Kyle qui, par son mariage et par la mort d'Ephron, possède tout pouvoir sur elle ;
- Keffria est la figure maritale et maternelle par excellence. Totalement soumise à son mari, qu'elle idéalise encore après quinze ans de mariage (c'est totalement impossible dans la vraie vie, mais passons), elle a peur de ses colères, lui pardonne tous ses défauts. C'est une personne fondamentalement bonne et qui a un peu trop foi en autrui. Faible d'esprit, elle n'aime pas avoir des devoirs, aime se sentir protégée et préfère s'aveugler quand les choses vont mal. Heureusement, les difficultés qu'elle traverse aux côtés de sa mère lui donneront du poil de la bête ;
- Althéa est une femme indépendante qui ne veut pas se laisser réduire au rôle de son sexe. S'afficher au bal des Moissons pour se donner en mariage au plus offrant et passer sa jeunesse à pondre des enfants ? Non merci ! Elle veut naviguer loin et longtemps et ne voit pas pourquoi le fait d'être une femme devrait l'en empêcher. Elle se rendra rapidement compte qu'elle ne connaît rien à la mer et aux hommes. Mais elle apprend vite et devient plus forte et plus déterminée. ;
- Malta est l'icône du désir féminin : elle veut plaire, avoir une tenue à la mode, et attirer le regard de tous les garçons. Elle n'a pas peur de ses envies envers l'autre sexe. C'est une adolescence au sens strict : elle se croit supérieure à sa mère et à sa grand-mère parce qu'elle aspire à une vie trépidante remplie de beaux vêtements et de beaux garçons. ;
- Ambre est la femme-mystère. D'où vient-elle, que sait-elle et que veut-elle ? Elle est belle, et surtout magnétique. Pleine de surprises.
Et il y a Vivacia, le navire qui n'a pu s'éveiller que grâce à la mort de trois générations de Vestrit. Techniquement, Vivacia est encore une enfant. Elle connaît mal les notions de justice, de bien et de mal et c'est avec Hiémain qu'elle va apprendre. Silencieuse, elle apprend, s'imprègne des émotions de ses proches. Souffre comme rarement vivenef a souffert : le seul membre de la famille Vestrit qui navigue avec quelle ne veut pas être à son bord et elle est coupée de la seule personne qui l'aime vraiment : Althéa.

Ce livre est plein d'injustices. Il se dévore en une semaine tant on est balloté de sentiments en sentiments. Et je n'ai pas tout évoqué. C'est un roman extrêmement riche, et plus développé que L'Assassin royal par bien des côtés.
À lire sans modération.
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