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Critique de Deleatur


J'espère que je ne me lasserai jamais de ce merveilleux guide qu'est le hasard... Une brocante obscure à la subtile odeur de moisi, perdue dans un hameau à ce point ignoré qu'il pourrait être le décor même de ce livre. Des amoncellements pathétiques de France-Loisirs et de Sélections du Reader's Digest, et de tous ces titres « à la mode » produits en masse depuis les années 80, habillés aujourd'hui d'une ringardise sans pardon, voués bientôt à redevenir pâte à papier. Et puis l'éclat sombre d'une couverture, la graphie d'un titre qui attire l'oeil. On se contorsionne, on s'empare de la chose, et on tient entre ses mains une petite merveille, La Maison au bord du monde, dans sa belle édition Terre de Brume de 1999.
La collection est une référence, et je sais déjà que je ne repartirai pas les mains vides. Quelque part, dans ma bibliothèque, je me souviens aussi qu'il doit y avoir La Chose dans les algues, du même auteur. Et je me rends compte que je ne l'ai jamais ouvert... Par compensation, La Maison au bord du monde hérite d'un rang prioritaire dans mes prochaines lectures. Le miraculé peut prétendre à ce droit.
Il y a des livres qui commandent aux circonstances de leur lecture. Celle-ci se fera devant la lueur dansante des flammes, durant les soirées de ce printemps froid, tandis que la pluie fouette les vitres. C'est mon atmosphère idéale pour le fantastique, car je ne m'imagine pas en train de lire Hodgson dans le RER (à vrai dire, je ne m'imagine pas du tout dans le RER ; je mesure chaque jour ma chance de ne pas être soumis à l'horreur de ces migrations pendulaires). Les premières pages, je bute un peu sur la traduction, que je trouve parfois râpeuse. C'est apparemment la seule qui ait jamais existé de ce texte : celle de Jacques Parsons pour la première édition française, chez Opta en 1971. Et puis, oubliant lourdeurs et maladresses, je sens la magie opérer.
L'histoire est très simple. le lecteur suppose qu'elle se tient au tout début du XXe siècle : deux amis, venus camper et pêcher dans une région reculée de l'Irlande où personne ne semble parler anglais, découvrent au gré de leurs promenades des ruines qui surplombent un gouffre oppressant. Avec la chance insolente qu'autorise la littérature, ils mettent alors la main sur un manuscrit dans lequel un narrateur relate les étranges événements qui se sont déroulés en ce lieu. Les ruines sont celles d'une grande maison fortifiée, très ancienne, dont les fondations ont été construites sur un puits mystérieux. le narrateur ne tardera pas à comprendre que le puits, et le gouffre souterrain auquel il mène, sont la porte d'entrée vers un autre monde. Non pas un royaume de troglodytes visqueux à la Gollum (encore que...) mais plutôt une autre dimension du cosmos, peuplée de créatures infernales. Le livre est le récit de cette découverte par le narrateur, et également le récit de la découverte réciproque de ce narrateur par les créatures. Car lorsqu'elles perçoivent son existence, elles n'ont plus en tête que de s'emparer de lui pour l'emmener dans leur monde...
La dimension psychanalytique de l'histoire est assez limpide, et Hodgson lui-même semble avoir insisté sur cette clé de lecture. Pour ma part, j'ai préféré lâcher prise et me laisser emporter par ces visions hallucinées et par le sens très sûr de l'épouvante que possède l'auteur. De fait, la quatrième de couverture reproduit un extrait d'Epouvante et surnaturel en littérature, dans lequel H.P. Lovecraft exprime toute l'admiration qu'il porte à Hodgson. Tous ceux qui vénèrent le maître de Providence trouveront ici un texte dans lequel, à n'en pas douter, il a puisé une partie de son inspiration. C'est délicieusement gothique, certains chapitres font dresser les cheveux sur la tête avec une remarquable économie de moyens, tandis que d'autres plongent le lecteur dans d'inquiétantes fantasmagories qui semblent sortir des enfers de Goya. Le récit manque d'unité, peut-être ; il est bancal sur certains plans, incontestablement, et on y décèle le ravaudage d'histoires différentes. Mais peu importe : les défauts même du récit contribuent à son charme inclassable et en font un texte définitivement à part. Un bonheur de lecture un peu inattendu pour moi, mais d'autant plus savoureux. Avec de tels livres, on pardonne à juin de n'être qu'un nouvel octobre.
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