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Critique de Nastasia-B


Je souhaiterais m'attarder ici moins sur l'aspect factuel et la narration des péripéties concernant les héros humains de ce second tiers de l'Iliade que sur l'une des dimensions du poème épique, à savoir : un récit mythique.

Par excellence, l'Iliade est un récit mythique, c'est-à-dire un récit des origines qui fait l'inventaire des mythes fondateurs sur lesquels s'appuie toute une société. Un récit mythique dit en général à ceux à qui il s'adresse 1) d'où ils viennent, 2) comment ils se sont installés ou constitués en tant que groupe autonome, 3) comment de divines ou semi-divines les identités marquantes en sont venues peu à peu à la forme humaine que nous connaissons aujourd'hui, 4) quelles sont les règles qui ont présidé au succès du groupe en question et donc, comment les membres actuels de ce groupe doivent se comporter pour perpétuer et maintenir le succès dudit groupe auquel s'adresse le récit des mythes fondateurs.

Ici dans ce second tome de l'Iliade dans l'édition en trois tomes, vous êtes en plein coeur de la tourmente quand aux péripéties des combats et aux mouvements successifs qui alternent, telle la marée et son balancement bien connu, entre Troyens d'une part et Achéens, d'autre part.

J'ai déjà abordé ailleurs certains de ces aspects. J'aimerais plutôt amener votre curiosité sur les aspects du divin dans l'Iliade. Et, dans ce second tiers, c'est particulièrement intéressant. On y aborde ce qui constitue mon quatrième point de la nature du récit mythique, à savoir, comment l'on doit se comporter en tant que membre de cette société.

Si l'on y regarde attentivement, l'implantation des dieux dans l'Olympe ressemble à s'y méprendre à l'installation d'une cellule familiale dans un village. Vous y trouvez le père de famille en exercice : Zeus ; sa bouillante épouse : Héra ; les frères cadets du chef de famille : Poséidon et Hadès ; les fils et filles du chef de famille, enfants légitimes : Arès, Héphaïstos ou illégitimes : Apollon et Athéna, pour ne citer qu'eux et enfin, les vieux parents gâteux : Cronos et Rhéa. Les autres sont tous plus ou moins des parents éloignés, consanguins ou cousins.

On y relève donc certains éléments typiques d'une société extrêmement patriarcale, où le chef de famille a toujours le dernier mot, où il est communément admis qu'il puisse avoir des relations extraconjugales avec progéniture associée mais on ne le tolèrerait évidemment pas de son épouse. Il est très intéressant de noter aussi qu'il n'y a pas nécessairement un culte des anciens. C'est le chef de famille en exercice qui commande, exactement comme dans les familles où le grand-père est encore au foyer familial mais que c'est son fils qui prend les décisions.

Il est à noter aussi que, bien que l'autorité soit clairement établie dans la cellule familiale, il n'y est pas interdit d'y exprimer son désaccord et son mécontentement à l'égard du chef. Poséidon ne s'en prive pas, Héra non plus. L'on apprend même que les lots (le ciel, la mer et la terre, le royaume des morts) ont été attribués aux trois frères que sont Zeus, Poséidon et Hadès par tirage au sort et que c'est juste son droit d'ainesse qui donne son ascendant supplémentaire à Zeus sur les deux autres.

Fréquence des conflits et des querelles à propos des décisions, remise en cause de l'autorité du chef sans trop de dommages, tirage au sort (de même que l'insoumission d'Achille vis-à-vis d'Agamemnon) nous indiquent par ailleurs clairement les canons d'une société assez égalitaire (toutes proportions gardées, bien évidemment). Dans un système social plus strict de telles libertés de la part des subordonnés ne seraient pas tolérées et l'ampleur de la sanction dissuaderait quiconque d'y réessayer à deux fois.

C'est particulièrement marqué dans les chants IX (Achille qui envoie promener Agamemnon), XIII (Poséidon qui n'en fait qu'à sa tête en opposition directe avec son frère Zeus) et XIV (Héra qui tente une combine pour embobiner Zeus et ainsi faire le contraire de ce qu'il a prescrit). le côté " défi " ou " compétition " y est très valorisé, ce qui est aussi l'une des variables constitutives de la société grecque, l'une des plus compétitive de tous les temps, où même les pièces de théâtre faisaient l'objet d'une compétition et d'un prix.

En somme, être Grec, c'est aussi pouvoir montrer son caractère, exprimer un mécontentement, essayer des coalitions pour faire ployer l'autorité, dire aux anciens que leur temps est passé, etc., en un mot défier l'autre, prendre un risque social. Ce n'est pas si fréquent dans les sociétés antiques et je tenais à le souligner. Mais ceci n'est, une fois encore, qu'un modeste avis, que des spécialistes ou des plus férus que moi pourraient probablement battre en brèche, c'est-à-dire, tout bien considéré, pas grand-chose.
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