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Critique de JeanPierrePoinas


Le dernier roman d'Hélène Honnorat est un bel exemple de « roman situé », genre littéraire cultivé par les éditions Yovana, qui en ont fait une Collection.

Jakarta, 1995. Tandis qu'on célèbre le cinquantième anniversaire de l'indépendance indonésienne, le corps d'un Chinois mutilé git sur les tombes d'un cimetière hollandais. Son ami Léo, directeur des cours au Centre franco-indonésien, mène l'enquête avec un jeune couple de coopérants. La fine équipe s'agite sous les ventilateurs d'une maison coloniale, aux bons soins de quatre domestiques, fantômes diligents mûrissant le retour du refoulé.

D'autres Chinois, proches du premier, disparaissent à leur tour. Léo lui-même n'est-il pas visé ? le message-titre – N'oublie pas Irma - condense son effroi quand il est découvert… je ne vous dirai pas où.

Mais qui donc est « Irma » ? La seule qui s'offre à nos yeux n'est autre que la belle-soeur de la victime, Chinoise proche et distante dont Léo aime en secret la peau transparente, et qui consent à noter favorablement cet « attribut extravagant » de sa virilité occidentale : « J'aime vos poils ». Plus Chinois, tu meurs.

Mais si « Irma » est Irma, pourquoi le meurtrier nous demande-t-il de ne pas l'oublier ? Une Irma peut-elle en cacher une autre ?

Pour que tout s'éclaire, il faut retourner sur les tombes. Alors, l'Histoire s'invite au rendez-vous du fait divers. 1995 n'est pas seulement le cinquantième anniversaire de l'indépendance, mais aussi le trentième des massacres de 1965, où périrent plus d'un demi-million d'opposants ou réputés tels, de communistes ou réputés tels… et, bien sûr, de Chinois communistes ou réputés tels – pire encore : étrangers, acharnés au travail et trop souvent prospères. « Plus que le total des victimes de Hiroshima et Nagasaki ». Triste tradition inaugurée par les Hollandais eux-mêmes, qui avaient « massacré dix mille Chinois en 1740 ».

Voilà qui accomplit éminemment la vocation du « roman situé » : rien ne vaut le polar d'Hélène Honnorat pour tout savoir sur l'immense Jakarta, ses monuments délirants, ses miasmes, ses fantômes, les canaux délétères de cette ville spasmodique comme les crises d'asthme du héros, à chaque page menacé de suffocation.
Mais surtout, le livre donne un point de vue unique sur ces Chinois de la diaspora, qui ont oublié leur langue mais perçoivent les vibrations de la République de Sun Yat-sen puis de la révolution de Mao Zedong.
Enfin, ce roman habilement pédagogique (un peu trop parfois, mais reprocherait-on au héros d'être prof comme à l'auteur de l'avoir été ?) est finement cousu, d'une plume élégante et précise déjouant les codes du roman noir, avec des héros aussi habiles à transporter des cadavres qu'à chercher la vérité dans des bouquins qu'on brûle de lire à notre tour. La haine xénophobe couve dans la torpeur « comme les feux de tourbières dans les forêts de Sumatra » . Quant à l'amour – « nuages et pluie » - il reste Chinois : « J'avais plongé mes doigts, confesse Léo, dans les algues de ses cheveux, de son sexe, et quand le mien s'y était frayé un chemin, j'avais eu la sensation de marcher dans une rizière ».
On n'oubliera pas Irma.

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