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Critique de Glaneurdelivres


« Tendre barbare », c'est ce titre que Bohumil Hrabal a choisi pour nous parler de son cher ami Vladimir Boudnik.
Je trouve l'illustration de 1re de couv. bien appropriée, et vous comprendrez mieux pourquoi, une fois que vous aurez lu ma critique !

Vladimir Boudnik, était peintre, graveur et photographe. Personnage éminent de l'art tchèque d'après-guerre, il faisait partie du mouvement appelé « explosionnisme » ou « explosionnalisme ».

Pendant la 2e guerre mondiale, il a été envoyé au travail forcé en Allemagne, ce qui lui a valu un traumatisme dont il ne se remettra pas ; en 1968, il se suicide.
Après la guerre, il a rencontré Bohumil Hrabal, avec lequel il a partagé de nombreuses années d'amitié.
En 1973, Hrabal croit qu'il doit se préparer à mourir. Il est « interpellé » par la maladie.
Au lieu de rédiger ses Mémoires, il écrit 2 livres, dont celui-ci en hommage à son ami Vladimir.

C'est à travers tout un enchaînement foisonnant, de souvenirs et d'anecdotes amusantes, et parfois grivoises, (voire tout à fait rebutantes et que je ne citerai pas !), et sur un rythme soutenu, que Hrabal nous apprend qui était son ami et artiste, Vladimir, et comment il se comportait dans la vie.

Entre 1950 et 1952, Vladimir partageait avec Bohumil un appartement, à Prague-Liben.
Vladimir était quelqu'un de complexe, solitaire et excentrique. Hrabal donne une sorte de définition de lui : « Vladimir Boudnik, c'est Charlie Chaplin visité par Kafka ». (Rien que ça !)
Ou encore : « le dandy en bleu de travail ».
Quand il portait une cravate, s'en était ridicule : « c'était comme en berne, le noeud pendant d'une façon inimitable, comme s'il avait écrit des poèmes ou fait la fête toute la nuit. »

Tous les deux étaient des fils illégitimes ; ils avaient aussi en commun une grande aversion pour la conversation, mais ils parlaient avec volubilité des soûlographes, ils envoûtaient les buveurs de bière, et ils faisaient chavirer le coeur des jeunes filles (comme celui d'ailleurs des prostituées sur le retour) !
Hrabal décrit son ami comme un compagnon de beuverie et comme un fidèle apôtre.
« A la 2e bière, nous remettions ça, nous nous tartinions de mousse tant et si bien que nous étions tout luisants et que nous sentions la bière à dix lieues. Mais surtout, c'était une facétie, l'expression de notre enthousiasme pour la bière, et l'enthousiasme de la jeunesse dont nous foisonnions. Nous étions des fanfarons de la chope… »
Et souvent un 3e larron, Egon Bondy (un célèbre poète tchèque), les rejoint.
Ils font ensemble la tournée des cafés et font remplir de bière leurs seaux, de peur d'en manquer quand les cafés fermeraient le soir !
Evidemment, de tant boire, au bout de la journée cela se termine par du vo..s ! (A vous d'ajouter les lettres manquantes !)

Et concernant le travail créatif de V. Boudnik : « Vladimir, inventeur virtuose de nouvelles techniques artistiques, mais ensuite toujours les soustrayant à la vue, comme le renard efface de sa queue ses traces dans la neige » ; « Son oeuvre le propulsait tout droit dans un espace où la pensée humaine cède ».
Boudnik était toujours en état de tension et d'exaltation créatrices. En règle générale, quand il créait, il travaillait nu. D'abord il aimait la nudité, et surtout il « abordait la presse à main ou la plaque de cuivre exactement comme l'acte amoureux… » ; « chaque travail à la presse à main était une messe, un cortège de fête, une réjouissance. »
Vladimir vendait bien ses oeuvres et cela lui rapportait pas mal d'argent, mais il n'aimait pas l'argent et quand il en avait beaucoup, il le dépensait immédiatement, et après cela il avait le plaisir de demander aux gens autour de lui quelques pièces pour payer son ticket de tramway !

Mais V. Boudnik était un solitaire aussi.
Le monologue était « sa tasse de thé » !
Comme je l'ai noté plus haut, c'est quelqu'un qui souffrait (traumatisé à vie par ce travail forcé par les allemands). Ses excès pouvaient aussi bien l'amener à pleurer à chaudes larmes (comme par ex. quand sa femme l'avait quitté), qu'à jouer au farceur pour amuser la galerie !
Il écrivait fébrilement son journal intime la nuit « pour rassembler ses morceaux brisés et pour que se taisent les voix de son hypocondrie et de son hystérie… ».
Il avait un complexe de strangulation. « Vladimir avait pris son envol pour l'univers, par une piste de décollage qu'il avait préparée depuis longtemps, sur laquelle il s'était entraîné, exercé… »
« La fin définitive de Vladimir était là… ».

Bohumil Hrabal conclut ce livre, en prenant de la hauteur, avec une note d'espoir, en huit pages de réflexions très profondes, sur comment veulent faire, penser, et vivre, pendant cette période de « normalisation », les artistes, poètes, écrivains et autres personnes de l'intelligentsia tchèque.
Pour lui, il faut « en finir avec les hésitations poltronnes ».
Il indique de quelle façon l'intelligentsia doit aller de l'avant, en restant intègre pour conserver sa liberté. Elle doit se débarrasser des intérêts qu'elle a eue en commun avec les autres, mais sans pour autant s'ostraciser.
Les personnes convaincues par l'idéologie communiste devaient se mentir beaucoup à elles-mêmes et mentir aux autres.
« Nous ne voulons pas ressembler aux autres gens, dont les visages sont de + en + proches de ceux des idiots. » ; « Nous ne voulons pas être heureux à leur manière ».
Ces deux dernières phrases, Bohumil Hrabal les a extraites d'un manifeste écrit par des jeunes qui voulaient réaliser librement leurs talents.
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