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Critique de oblo


oblo
04 décembre 2017
A la faveur du remariage de leurs parents respectifs, Song Gang et Li Guangtou deviennent frères. Au-delà du lien biologique qui n'existe donc pas, c'est un véritable lien affectif, forgé par les épreuves de l'enfance, qui vont rassembler ces deux êtres tout au long de leur vie. Puisque le bonheur de cette famille recomposée ne dure qu'un an, les difficultés de la vie s'imposent rapidement aux deux garçonnets. En effet, les ravages de la Révolution culturelle et prolétarienne, imposée par Mao Tsedong et qui prend, en réalité, des allures d'épuration sociale et culturelle, vont décimer le bourg des Liu où se déroule l'action du roman. Song Fanping, le père biologique de Song Gang, est lui-même arrêté, brutalisé, humilié publiquement, avant d'être tué odieusement par les gardes rouges. Li Lan, la mère de Li Guangtou, consentira à rendre Song Gang à son grand-père, s'enfonçant quant à elle dans une mélancolie dont ne viendra la délivrer que la mort.

Se retrouvant à l'aube de l'âge adulte, Song Gang et Li Guangtou se retrouvent à nouveau séparés quelques années plus tard. Cette fois-ci, c'est l'amour qui rompt le lien fraternel. Lin Hong, la plus belle jeune femme du bourg des Liu, espionnée contre son gré dans les toilettes publiques par Li Guangtou, jette son dévolu sur le taiseux Song Gang. Commence pour Song Gang et sa nouvelle épouse une vie de petits boulots, de petits malheurs qui se joignent les uns aux autres, une vie qui va de malchance en malchance, de tours de reins en inhalations de poussières fines. Une vie faite d'amour, aussi, un amour puissant et loyal reposant sur une affection extraordinaire des deux époux l'un envers l'autre. Une vie de frustration, évidemment, que Song Gang ne supporte pas. Préférant partir pour tenter de faire fortune vers le sud de la Chine, il n'en reviendra que pour mourir. Song Gang, c'est le parcours de vie d'un homme honnête qui refuse d'aller à l'encontre de ses principes, qui refuse aussi de trahir ses fidélités : à Lin Hong, bien-sûr, mais aussi à son frère, que jamais il n'oublie.

Si Song Gang est le double bénéfique de Li Guangtou, ce dernier est donc le double maléfique du premier. Car Li Guangtou a tout du bandit, du voyou, de celui qui ne respecte pas les règles, de celui qui n'entend que satisfaire son bon plaisir. Après avoir été pointé du doigt pour avoir regardé les fesses des femmes dans les toilettes publiques, il a commencé par faire commerce des informations sulfureuses que ses yeux avaient récoltées. Son échec dans la conquête amoureuse de Lin Hong le pousse à se réaliser autrement : peu à peu, Li Guangtou devient le nabab du bourg des Liu, faisant la pluie et le beau temps, organisant des défilés de vierges issues de toute la Chine, devenant riche au point de s'imaginer aller dans l'espace.

A travers ces deux personnages et, plus encore, à travers tout le bourg des Liu, Yu Hua peint le tableau d'une Chine qui, en l'espace de quarante ans à peine, a mis de côté ses traditions pour épouser la voie du libéralisme. S'il n'y avait les slogans maoïstes, qui croirait encore que la Chine est une puissance communiste ? En utilisant les termes idéologiques et politiques issus des discours de Mao ou d'autres grandes figures historiques chinoises, Yu Hua ancre son récit dans un moment historique ; on peut penser, aussi, qu'il utilise ironiquement ces phrases bien connues de ses contemporains, en les accolant à des non-événements, démontrant ainsi la réalité et la signification réelle des mots employés.

La Chine traditionnelle, à l'image de Song Gang, est vite dépassée. Les appétits financiers d'une Chine nouvelle, symbolisée par Li Guangtou, où l'économie flirte avec le politique, où les arrangements entre amis s'opèrent à un très haut niveau, ajoutent au système politique et social chinois, dessiné par le communisme, une complexité nouvelle, régie par le pouvoir de l'argent. La Chine traditionnelle s'oublie : Tong le forgeron devient patron de trois supermarchés, Yu l'arracheur de dents parcourt le monde pour échapper à la Chine, Liu l'écrivain est le CEO de la compagnie de Li Guangtou. Les gagnants côtoient les perdants : Guan les Ciseaux le Jeune déroule une vie de misère faite de vente de couteaux en plein air, Zhao le poète traîne son surnom sans rien écrire. Tout cela, c'est entre les lignes qu'il faut le deviner car le récit de Yu Hua se focalise essentiellement sur le parcours de Song Gang et, surtout, de Li Guangtou, plus intéressant narrativement. Quelques longueurs, ici et là, ajoutent une dimension picaresque à un récit dont on ne sait pas s'il se veut très subtil ou s'il n'ose pas écrire certaines vérités sur la Chine contemporaine. Brothers est ainsi un récit sur l'histoire d'un géant qui se réveille et se décide à marcher, quitte à écraser ceux qui n'ont pas la force de monter sur ses épaules.
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