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Critique de EtienneBernardLivres


On dit que Prométhée aurait apporté le feu de la connaissance aux hommes. C'est faux, ce qu'elle a dérobé et apporté, c'est le feu de la flânerie !
C'est par cela seul qu'on se différencie des animaux « l'homme est au-dessus de tous les autres animaux uniquement parce qu'il sait flâner » « Il sait perdre son temps et sa jeunesse par tous les climats et toutes les saisons possibles ».
l'Homme est ainsi défini par l'auteur après avoir moqué toutes les définitions académiques ou littéraires :
"Les uns ont dit que l'homme était une « intelligence servie par des organes » ce qui me semble bien flatteur pour une foule d'épiciers, d'actionnaires et même de Pairs de France.
D'autres ont tout simplement déclaré que l'homme est un animal à deux pieds et sans plumes ; - ce qui nous met sur le pied de la plus parfaite égalité avec un simple coq qui vient d'être plumé par un cruel rôtisseur.
Aussi Platon, pour compléter sa définition de l'homme, aurait dû ajouter que c'est un animal à deux pieds et sans plumes, non destiné à être mis à la broche ; - et encore, les sauvages de la mer du Sud donneraient-ils un démenti à cette opinion philosophique et gastronomique. »

Quoique généralement mal perçu, flâner est un art noble et distingué.
Le flâneur est un actif, non seulement au sens physique du terme, car on ne flâne jamais chez soi mais toujours dehors, ce qui suppose de bonnes jambes, et tout aussi actif sur le plan spirituel : le flâneur se concentre tant sur des choses anodines qu'extraordinaires en se laissant porter par le hasard.
En marge des spectacles de rues, boutiques, restaurants, le flâneur se contente aussi avec peu et préfère même l'insignifiant au feu d'artifices, peut contempler des affiches publicitaires, de simples caricatures dans les journaux ou les motifs d'une étoffe des heures entières :
« Il contemple l'aspect général du dessin, l'effet de la couleur, le mariage des tons qui composent l'ensemble - il voit dans le goût une direction nouvelle, ou un retour au goût d'une autre époque ; son esprit abandonne l'étalage du marchand, remonte au producteur, se reporte aux moyens de fabrication, passe en revue les débouchés de la fabrique et suit le manufacturier sur les places de Leipsig, de Londres et de Saint-Pétersbourg ; enfin le même morceau d'étoffe lui présente mille sujets de réflexion, que l'autre spectateur n'avait pas même soupçonnés, et lui fournit l'occasion d'un long voyage dans le monde imaginaire, le monde brillant, le meilleur et surtout le plus beau des mondes possibles »

Il produit et imagine avec rien, contemple à peu près tout avec émerveillement comme un poète en étant grandement observateur.
« Le véritable flâneur ne s'ennuie jamais, il se suffit à lui-même et trouve dans tout ce qu'il rencontre un aliment à son intelligence »

Ce qui le distingue de ceux qui n'ont qu'une attention purement passive, lourde par abrutissement : il s'agit du « musard ». Il assiste, absorbé, ahuri, à un combat de chiens pour un os et « si ce combat se prolonge pendant 30 minutes, il restera là pendant 30 minutes, non pas que ça l'intéresse vivement ou que ça l'amuse beaucoup, mais comme le musard se trouve là, il y reste ».
« Si par hasard le musard assise au drame palpitant d'un serin que l'on cherche à faire rentrer dans sa cage, il en a pour toute son après-midi. le musard ne rentre dans son logement qu'après que le serin lui en a donné l'exemple. »

Ou le distingue encore du « babaud étranger » le passant, le touriste, qui n'agit et ne raisonne qu'avec de multiples cartes et guides à la main et se rue sur les monuments comme une course pour gagner la satisfaction d'une journée non perdue.

Le gamin de Paris est la catégorie se rapprochant le plus d'un flâneur. Ce sont ces enfants sans instruction, sans tenue, sans argent ni parents et qui vaguent dans les rues la journée entière. Oubliez les larmoyantes descriptions d'Hugo ou d'Eugène Sue sur ces pauvres enfants misérables, l'auteur voit le côté poétique et flâneur de ces gamins sans un sou « Les accidents, les exécutions, les émeutes, les fêtes publiques, nationales, royales ou n'importe quoi, sont encore ses points de réunion : il grimpe aux mats de cocagne, sur les arbres, sur les voitures, sur les colonnes de réverbères ; il grimpe partout, se fourre partout, voit tout, et, comme nous le disions, il aime tellement les spectacles de quelque genre qu'ils soient, que, pour jouir de cette vie, il oublierait tout dans ces jours mémorables, tout, peut-être même la galette et le raisiné »

Le flâneur est même vertueux, assuré d'avance qu'il ne nuira à personne. Jamais un bandit, filou ou autre escroc ne flâne « Comment voulez-vous qu'un homme qui vient de commettre un crime et qui en médite un nouveau passe une heure délicieuse à regarder les jeux innocents des enfants aux Tuileries, puis, de là, passe soixante autres minutes non moins délicieuses et encore plus innocentes, à regarder les ébats des petits poissons rouges du bassin des Tuileries. C'est impossible. »

De la « Gaieté dans l'occasion, de la réflexion au besoin, de l'observation toujours, quelque peu d'originalité, un esprit mobile, plus ou moins d'instruction, une conscience qui le laisse en repos. »
Telles sont les qualités du flâneur, qui, on l'aura compris, déteste au plus haut point toute programmation, tout esprit de contrôle, de direction « Le vrai flâneur va dans un sens jusqu'à ce qu'une voiture qui passe devant lui, un embarras quelconque, un étalage qui fait le coin d'une rue, une poussée, un coup de coude lui imprime une autre direction. D'accident en accident, de poussée en poussée, il va, vient, revient et se retrouve de près ou loin de chez lui, suivant la volonté du hasard ».

Tant de liberté, d'aléas et d'imprévus en cet état esprit … ! L'auteur est lui-même un flâneur revendiqué et convaincu. Il nous communique l'engouement de la flânerie tout en raillant les petits malheurs que peuvent traverser le flâneur, se moque encore de tous les faux flâneurs qui se présentent comme tels.
Le tout forme une « physiologie » satirique et spirituelle.
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