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Critique de Yaena


Ca y est ! J'ai réussi : 1344 pages très exactement. J'avais déjà lu Les misérables quand j'étais adolescente mais une édition « édulcorée ». Un jour dans une librairie, je me suis dit que c'était dommage alors sur un coup de tête j'ai acheté la version intégrale, laquelle ressemble plus à un parpaing qu'à un livre il faut bien le dire.

Pendant quatre mois ce fut ma lecture fil rouge. Pas question de me gaver, ou d'expédier. Et quelle lecture ! le mot description prend ici tout son sens. HUGO décortique, détaille, investigue, analyse, digresse avec gourmandise et générosité. Je n'ai pas lu Les Misérables, j'ai vécu avec eux. C'est un peu long parfois mais le rendu est spectaculaire. Ici pas d'ellipse pas de trous à combler tout, absolument tout est prévu, dit, raconté, expliqué. Signe d'une autre époque ou le temps s'écoulait différemment et où on ne pressait pas les écrivains d'écourter. Un temps ou les notifications ne nous harcelaient pas, où on vivait dans la vraie vie et pas dans le virtuel, où les écrans ne nous accaparaient pas.

HUGO ne décrit jamais ses personnages en une seule fois et pour cause les descriptions mises bout à bout font pour chacun d'entre eux une dizaine de pages. Ils sont d'abord ébauchés, puis on appréhende leur gestuelle, leur façon de se mouvoir, de se vêtir, leurs attitudes, leurs caractères, ils ont pris vie, on s'est apprivoisés, côtoyés, aimés, détestés, reconnus de loin, devinés ! Ils ont fait partie de mon monde. Et la magie a opéré de même pour les lieux j'ai frissonné dans l'auberge des Thénardier, me suis sentie à la maison chez monsieur Madeleine, ai respiré à plein poumons l'air frais en cheminant la campagne française aux côtés de Jean Valjean et de Cosette, j'ai hurlé sur les barricades, retenu mon souffle craignant de croiser Javert au détour d'une rue. Quelle aventure ! Avec en prime l'Histoire de France décortiquée.

Victor HUGO en bon narrateur, m'a tout expliqué, penché au-dessus de mon épaule de temps en temps il me rappelait que oui il pouvait bien revenir en arrière, remonter le temps car c'est le privilège du narrateur. D'accord Victor je te suis. Parfois il m'aidait à me souvenir : on se rappellera que … oui Victor, je me rappelle. D'autres fois il partait dans une direction qui me désarçonnait comme quand je me suis retrouvée sur le champ de bataille de Waterloo, mais il me prévenait toujours : c'est nécessaire à la compréhension de l'histoire. Patience… Alors je l'écoutais lui et son style suranné, ses tournures de phrases désuètes au charme incontestable, ses mots, maintenant disparus, ramenés à la vie pour quelques instants (merci mon dico d'étymologie) et ses jeux de mots attendrissants quand ils se voulaient sans doute spirituels et percutants à l'époque (filousophe) et puis l'argot qui donne du piquant au récit. Je ne me lassais pas de le lire et d'apprendre. le contexte historique et politique de l'époque, le mode de vie, les petits détails du quotidien, les habitudes, les moeurs, … passionnant ! Alors oui il est parfois un peu candide notre Victor, un peu trop confiant en la nature humaine, ses personnages sont parfois manichéens, mais il est aussi pertinent et visionnaire. Combien de ses idées, de ses prises de position, sont toujours d'actualité de nos jours ? « On dit que l'esclavage a disparu de la civilisation européenne. C'est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, il s'appelle prostitution ». Encore maintenant on pourrait débattre des heures sur ces mots.
C'est ça aussi Les Misérables : le témoignage d'une époque, d‘un combat, d'un engagement pour sortir de l'ombre ceux de l'ombre qu'aujourd'hui on appellerait « les sans » : sans dents, sans domicile fixe, sans-papiers, sans travail, sans revenus… les années ont passé mais il y a des Cosette plein les rues, des Thénardier, des Jean Valjean, des Gavroche…, et son combat contre le système pénitentiaire de l'époque et le droit à une seconde chance ? Pas certain que nous ayons beaucoup progressé là encore.

Et l'histoire? L'histoire vous la connaissez. C'est beau, c'est cruel, vous savez que c'est un crève-coeur. Tout le monde la connaît … dans les grandes lignes. Mais pour la vivre, la comprendre, la ressentir, et vous promener en tête à tête avec Victor, il vous faudra lire ces 1344 pages, arrêter le temps, savourer les mots.
Une fois la balade terminée et arrivé au mot fin il se peut que vous cherchiez cette voix au-dessus de votre épaule et que vous vous sentiez un peu orphelin. Parce que certaines lectures sont plus vivantes que d'autres. Parce qu'on n'abandonne pas des compagnons de route avec qui on a passé tant de temps sans un petit regard en arrière et un peu de vague à l'âme.
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