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Critique de Laureneb


Ce court texte a été retiré des Misérables, car c'est un passage de philosophie, de métaphysique, mais surtout de prose poétique, qui ralentirait l'intrigue. Il est donc mieux "à part", à lire seul, même s'il justifie et explique clairement le titre des Misérables donnés à l'ouvrage.
"Les fleurs" est un texte construit sur une antithèse centrale, une opposition initiale : comment des prostituées peuvent-elles éprouver des sentiments amoureux telles les autres femmes, et, surtout, comment peuvent-elles se dévouer à un forçat, un prisonnier, un criminel ? Ce sont donc d'autres "fleurs du mal" pourrait-on dire, où la beauté sublime de l'amour se mêle au monstrueux et au grotesque des prisons et des bas-fonds de la misère humaine ; on retrouve la fascination de Hugo, centrale chez lui, pour cette opposition entre sublime et grotesque. Or, c'est par l'amour que ces femmes sont rachetées, flétries par les hommes, déchues à cause de la pauvreté, elles sont sanctifiées par la pureté de leurs sentiments. Comment ne pas être touché, ému, par ces personnages féminins, ces "Vierges folles" qui donnent leur corps aux passants mais gardent leur coeur pur pour celui qu'elles ont élu ? Comme Fantine, personnage de martyre, qui, elle, ne tombe à la rue que pour sauver Causette, mais qui meurt sanctifiée. Dans son écriture, Hugo multiplie donc les oppositions et les antithèses, avec une élévation progressive du singulier, les personnages des bandits des Misérables, à l'universel, la société française, certes, mais aussi le monde.
C'est donc pour cela que le texte pouvait à l'origine appartenir aux Misérables : il illustre et justifie l'incipit du roman en revenant sur "l'un des trois problèmes de ce siècle, la déchéance de la femme par la faim". Mais il va bien plus loin, en proposant des solutions. Et il expose à nouveau un des combats majeurs de Victor Hugo, l'accès à l'éducation pour tous, gratuite et obligatoire. Merci Monsieur Hugo, à nouveau, en ces temps troublés où ces droits sont remis en cause dans certaines parties du monde...
Victor Hugo est un poète, un Voyant, oui, mais il est aussi un chercheur. Ou en tout cas, il fait travail de science - ou il en parle, ce qui pour lui est tout comme. Il présente l'homme étudiant la matière, la pesanteur, l'atome, la météorologie et les climats, données physiques, biologiques, qui lui permettent d'arriver, selon Hugo, à la métaphysique et donc à Dieu. Or, certains mots résonnent de façon prophétique avec notre époque, quand Hugo prédit - au sens fort - que l'homme " a évidemment une action sur le climat", et que la "météorologie en est à son 1789". Sauf que Hugo se révèle ici trop optimiste, il prévoit un contrôle, un dressage même, du climat - l'homme étant présenté comme un "dompteur" - pour améliorer les conditions de vie humaines, supprimer les tempêtes, réduire les risques d'éruption volcaniques... ; il n'a pas pu prévoir le dérèglement climatique... de même, il parle aussi des épidémies et de précautions sanitaires, dans un paragraphe qui, à condition de de remplacer le mot "peste" par celui de "Coronavirus" pourrait être écrit aujourd'hui : "Une peste est un avertissement. Habitant, que ton premier soin soit de désinfecter le logis. Il y a une immense hygiène terrestre que le penseur entrevoit, et que l'homme doit au globe".
C'est une lecture fascinante que de suivre le processus de pensée d'un tel homme qui, dans un texte qui, au départ, s'intéresse à la misère humaine et à la prostitution, arrive à nous parler d'un avenir qui est le notre, avec nos problématiques actuelles. Il faut parfois s'accrocher, on ne peut maîtriser toues les références érudites, mais on se laisse porter par le charme des phrases, les ruptures de rythme, les alexandrins dissimulés au milieu des longues périodes, les formules lapidaires. Encore une fois, en partant du singulier, Victor Hugo arrive à l'universel. Un court texte donc, mais magnifique et marquant (je m'aperçois que je fais une critique bien longue pour un texte d'une soixantaine de pages, mais je ne peux pas me restreindre quand il s'agit d'Hugo... un autre sublime texte que j'ai lu de lui cette année avec le Promontoire du Songe).
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