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Critique de Franz


Franz
09 décembre 2020
Afin d'obtenir le calme et le silence dans la ruche, la nounou des abeilles va narrer aux larves lovées dans leurs cellules le conte terrifiant du papillon de nuit appelé Sphinx à tête-de-mort alias le grizzly des abeilles. Les origines africaines du Sphinx le portent au-delà des déserts et des mers, dans des courants migratoires soit plus de cinq cents kilomètres d'une seule traite. Avec treize centimètres d'envergure, le Sphinx à tête-de-mort n'est devancé chez les lépidoptères que de trois centimètres par le Grand Paon de nuit demeurant le plus grand papillon d'Europe. As du camouflage, le Sphinx arbore « une énorme tête de mort d'un jaune cadavéreux dont les deux orbites vides fixent la lune d'un regard inquiétant ». Collés sous les feuilles des patates, les oeufs du Sphinx donnent naissance à des chenilles voraces que la toxicité du feuillage ne rebute en rien. Dérangée et inquiétée, la chenille émet « d'extraordinaires petits grésillements faisant penser aux crachotements inquiétants des étincelles électriques ». C'est la seule larve au monde pouvant émettre des sons. Dotée d'une force herculéenne, elle est capable de soulever près de quarante fois son poids et de forer le sol afin de s'y enfouir, malgré son corps mou, afin de continuer sa métamorphose. de retour à l'air libre, le papillon termine ses dernières transformations en deux heures. En trente minutes, ses ailes se défroissent, s'allongent, « s'emplissant d'air et de sang ». Si le papillon se trouve dérangé, « il se met à pousser toute une série de petits cris affreux. Des sanglots grinçants qui, pour certains, faisaient songer aux piaillements d'une petite souris… pour d'autres, au crissement d'une vieille godasse en cuir ». Quelle que soit l'interprétation des heureux auditeurs effrayés, le Sphinx à tête-de-mort est « le seul insecte [au monde]… capable de produire un son avec sa gorge ». Friand de miel, le lépidoptère déchiffre les odeurs à l'aide de ses antennes sophistiquées. Immunisé contre les piqûres des abeilles, il perfore l'opercule de cire et vide méthodiquement du miel les cellules à l'aide de sa trompe creuse. Si ses prélèvements restent sans conséquence pour la ruche, ils peuvent menacer la propre survie du papillon dès lors où l'extatique bombance le fait enfler jusqu'à l'empêcher de ressortir. Les abeilles recouvriront alors le cadavre de propolis afin d'annihiler les effets néfastes de la putréfaction. En Afrique, la multitude de Sphinx peut mettre à mal les ruchers.
Le n° 76 de la Hulotte est sans doute l'acmé de la publication naturaliste des champs et des bois. Pierre Déom réussit tout ce qu'il entreprend : l'assimilation et la restitution d'une information scientifique débarrassée de sa gangue techniciste, la multiplicité des lectures dans un même mouvement due aux bédés et aux encarts, un dessin fouillé, beau et précis, parfois pleine page, un humour constant jamais pris en défaut et une histoire passionnante pleine de rebondissements et de révélations insolites, voire sidérantes. Seule la couverture pourrait paraître un peu plus faible mais l'essentiel y est : une fenêtre encadrée de nuit comme un faire-part de deuil et l'apparition goguenarde de la tête de mort du Sphinx face aux visages épouvantés des joueurs de cartes. La vie est en marche et Pierre Déom a su en restituer tout l'élan avec brio.
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