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21 février 2012
Le progrès social s'est traduit par une déconnexion croissante entre le revenu et l'acte de travail

Contre « la prétention de la science économique à vouloir réduire ce qui est un mode d'organisation sociale à un ensemble de lois aussi incontournables que celles de la physique » , Michel Husson nous rappelle que « le capital se définit comme un rapport social fondé sur la propriété des moyens de production »

Pour analyser de manière critique le capitalisme contemporain « Il faut donc réussir à rendre compte à la fois des invariants du capitalisme et de la diversité de ses formes concrètes ». Il importe donc de présenter les différentes périodes qui se sont succédées, non de manière linéaires, mais en lien avec les contradictions internes du système et les luttes (de classe) qui se sont déroulées. « A négliger la diversité des institutions et des arrangements sociaux, on verse rapidement dans l'économicisme qui consiste à tout ramener à des déterminations économiques. Réciproquement, la focalisation sur les spécificités peut faire oublier les tendances communes et surestimer la malléabilité du capitalisme ». Ce qui permet à l'auteur de souligner que la crise actuelle « est au fond la crise des solutions apportées à la crise précédente ».

Le fil directeur de l'ouvrage « est que le capitalisme est entré dans une ère de ‘rendements décroissants' », qu'il est de « moins en moins capable d'intégrer la satisfaction des besoins humains à sa propre logique » et qu'à l'inverse « la marchandisation du monde conduit à l'éviction de certains besoins essentiels ».

Je ne saurais ici présenter la totalité de l'ouvrage. Je me contenterais d'indiquer quelques pistes en essayant le plus possible de laisser la parole à Michel Husson. Bien évidement, mes choix, subjectifs, ne sauraient engager l'auteur.

Plan du livre :

« de quoi le capitalisme est-il le nom ? » L'auteur montre que « l'introduction du capitalisme représente une véritable rupture par rapport aux mécanismes sociaux antérieurs ». Il décrit les conditions préalables nécessaires dont la mise à disposition de main-d'oeuvre « libre ». Michel Husson reprend la grille de lecture de Pomeranz « la révolution industrielle naît d'une combinaison assez aléatoire de contraintes géologiques, de ressources extérieures, de mise à disponibilité d'une force de travail et de progrès technologiques. Cette alchimie très particulière permet de comprendre pourquoi l'essor du capitalisme n'a rien de prédéterminé. »

« D'où vient le profit ? ». L'auteur interroge les versions néoclassiques et leurs prétentions à offrir une vision cohérente du capitalisme « autour de deux notions clés : qu'est ce le profit ? Comment se réalise ‘l'allocation des ressources rares entre les fins alternatives' sous le capitalisme ? ». Il souligne « la misère de la ‘science' économique dominante. » C'est le chapitre le plus ardu du livre. Pour celles et ceux qui voudraient approfondir, je signale l'introduction (http://hussonet.free.fr/boukaweb.pdf) de l'auteur à la réédition du livre de Nicolas Boukharine : L'économie politique du rentier ( Syllepse 2010) Objectivité sociale. Michel Husson insiste sur le caractère très particulier de la marchandise « force de travail ».

« Pourquoi les riches sont-ils plus riches ? » ou variations sur la productivité du travail, les surplus, l'accumulation de richesses, le partage entre profit et salaires, les inégalités, les pressions ou luttes sociales. Deux phénomènes peuvent être mis en relation « le premier est que les inégalités ont eu tendance à se réduire sur longue période » et « la courbe s'inverse avec le tournant libéral des années 1980 et une nouvelle tendance au creusement des inégalités s'instaure ». Il ne faudrait cependant croire à une réduction « naturelle » des inégalités, générée spontanément par le fonctionnement du système. « Il faut plutôt y voir l'effet des luttes sociales, des évolutions dans la structure de la force de travail, et aussi des politiques publiques ». L'auteur souligne que « l'intervention de l'État n'a pas diminué en tant qu'agent actif de la structuration de la société » et termine cette partie par « l'égalité est la condition absolue du bien-être social et de la véritable liberté, définie comme ‘le sentiment de ne pas être méprisé et traité en inférieur'. »

« de quoi avons-nous (vraiment) besoin ? » L'auteur présente « la distinction classique entre valeur d'échange et valeur d'usage » et nous rappelle contre les lectures hâtives, économicistes ou mal-intentionnées « Or les valeurs d'usage importent, même dans le champ du marxisme, parce que le bouclage concret des schémas de reproduction suppose une correspondance entre ce qui est produit et ce qui est consommé ». Michel Husson souligne à la fois que « les biens et services marchands individualisables occupent une place décroissante dans la consommation » et que « la demande sociale est de moins en moins conforme aux exigences de rentabilité » ou pour le dire manière percutante « Mais tous les besoins ne sont pas égaux devant le capitalisme et il va donc tout faire pour les modeler en fonction de ses exigences propres ». L'auteur développe remarquablement autour de la notion de besoins. D'un coté, pour la rentabilité, il faudrait que les besoins s'adaptent à la production, c'est d'ailleurs le rôle des matraquages publicitaires, que les individu-e-s producteurs s'effacent devant des êtres consommatrices/consommateurs. D'autre part, contre celles et ceux qui voudraient dicter les besoins essentiels, au nom de la soutenabilité du développement par exemple, Michel Husson oppose « il s'agit de créer les bases matérielles qui permettent d'effectuer d'autres choix, à la fois dans les conditions de vie et dans la maîtrise des grands choix sociaux ». Contrairement à une légende, le marché et la démocratie ne font pas bon ménage. Et l'auteur d'ajouter « Dans une société rationnelle, le besoin ne serait plus seulement une condition vide de contenu garantissant la valeur » et « La démocratie est donc la condition même de fonctionnement d'une telle organisation sociale, et cette conception conduit à poser autrement l'articulation entre plan et marché » d'où « l'importance décisive des règles institutionnelles et du processus d'échanges et de confrontation ».

« Qu'est ce qui n'est pas une marchandise ? » Pour le capitalisme tout peut ou (re)devenir marchandise. A l'inverse des processus de démarchandisation qui ont « accompagnés » le progrès social, le capitalisme néolibéral est aussi un tournant vers la (re)marchandisation de toute chose. le titre de cette note est issue de ce chapitre. La marchandisation du travail, de la force de travail tient une place particulière dans le système capitaliste et dans sa phase néolibérale. Ainsi « La flexibilité pourrait-être très bien définie comme la suppression de tous les dispositifs qui font que, justement, la force de travail n'est pas une marchandise comme une autre ». Flexibilité, individualisation des salaires et des autres conditions salariales, développement de l'externalisation et de la sous-traitance, il s'agit pour les gouvernants de remettre en cause « les liens contractuels hérités du passé, en faisant des salariés la variable d'ajustement ». Nous assistons aussi aujourd'hui à une marchandisation de la connaissance (brevets, propriété intellectuelle, etc) au nom d'un marché plus efficace, moins coûteux, une transformation de la vie en vie-marchande, sous une délirante présentation d'un tout comptable. Contre cette construction idéologique, l'auteur souligne « l'incommensurabilité d'un certain nombre de droits sociaux ». Il faut lire avec attention les pages sur les biens publics, les biens intragénérationnels et intergénérationnels et s'interroger « quels éléments la société est-elle prête à laisser au libre jeu du marché ? ». La satisfaction des besoins est une rationalité supérieure au « calcul économique ».

« le capitalisme peut-il se mettre au vert ? » Michel Husson analyse les problèmes de l'énergie, de la transition énergétique, les écotaxes et « la contradiction entre l'objectif de profit maximum et celui de réduction des dépenses d'énergie », sans nier un possible « verdissement » du système. En complément possible : ContreTemps N°12, quatrième trimestre 2011 (Editions Syllepse, Paris 2011) et Daniel Tanuro : L'impossible capitalisme vert (Les empêcheurs de penser en rond / La Découverte, Paris 2010)

« Où mène la mondialisation ? » L'agencement de l'économie mondiale est bouleversée par la place grandissante de certains pays dits émergents « certains pays, conçus au départ comme réservoirs de main-d'oeuvre bon marché, connaissent une forte croissance de leurs exportations, inondent les marchés des pays développés et ‘remontent les filières', autrement dit se mettent à produire des biens de haute technologie ».Cependant si le Produit Intérieur Brut (PIB) mondial peut se ventiler en deux parts égales, entre pays dits avancés et les autres, il ne faudrait pas oublier que les premiers ne représentent que le septième de la population mondiale. Les PIB moyens par habitant-e-s sont donc très différents et cachent des différentiations importantes entre les très riches et les autres, entre sous-régions et entre femmes et hommes. La mondialisation actuelle est partiellement d'une autre complexité que l'internationalisation antérieure, entre autres par la mondialisation productive. « Concrètement, les marchandises sont dorénavant produites à cheval sur plusieurs pays, et ce phénomène va au-delà d'une simple augmentation des courants d'échange. Ce n'est pas seulement le marché qui devient mondial, mais ce sont les lieux de production qui se déploient et se restructurent à une échelle planétaire. Les différents stades de la fabrication d'un produit sont répartis entre plusieurs pays : on parle alors de ‘décomposition internationale des processus productifs' ou de ‘chaînes de valeur globale' ». Cette mondialisation de la production est portée par l'investissement international, les fameux investissements directs étrangers (IDE) dont il faut néanmoins souligner qu'ils restent majoritairement orientés vers les pays….développés. Michel Husson analyse la nouvelle cartographie du monde, dont les relations Chine/États-Unis. Il montre que la structuration économique mondiale est de plus en plus dissocié de la cartographie des États et explique les mécanismes de « l'institutionnalisation de l'absence de règles à travers la création de l'OMC (Organisation mondiale du commerce) ». Si je suis l'auteur dans « La mondialisation réellement existante introduit ainsi une différence importante avec les formes classiques de l'impérialisme », je pense néanmoins que les débats devraient s'approfondir sur les contractions dans cette nouvelle configuration. Pour le dire franchement le duo Chine/États-Unis pourrait se dénouer et le leadership mondial être disputé, y compris sous une forme classique de guerre. Mais la puissance économique de la Chine n'est aujourd'hui que très potentielle et l'impérialisme américain dispose de la seule puissance militaire réellement existante.

« A quoi sert l'Europe libérale ? » Il n'y a pas de capital européen. Aujourd'hui dominent, hors de tout cadre démocratique, des politiques de privatisation des services publics, de la mise concurrence (et donc de la primauté du moins-disant) des systèmes sociaux. Il s'agit donc bien d'un « modèle économique tronqué » où « L'euro réellement existant n'est donc rien d'autre qu'un outil de police économique ». L'auteur ajoute judicieusement « le marché unique n'est pas le débouché principal, mais la base arrière d'une visée plus large ». de nombreux arguments utiles pour refuser le rôle profondément antisocial et réactionnaire des traités, dont le projet en cours visant « à constitutionnaliser une terrible régression sociale comme moyen d'assainir les finances publiques… »,

« Qu'est ce qu'une crise ? » Michel Husson présente et analyses les trois sortes de crises auxquelles le capitalisme est confronté : les crises périodiques, les crises de régulation et la crise systémique. Il met en relation les évolution de la productivité, les interventions de l'État « social », l'augmentation des si mal-nommés prélèvements obligatoires, l'inflation, la durée du temps de travail, pour conclure une nouvelle fois sur « l'écart se creuse ainsi entre la demande sociale et l'offre rentable ». Pour approfondir, un ouvrage plus ancien de l'auteur Un pur capitalisme (Éditions Page deux, Lausanne 2008)

« Pourquoi on va dans le mur ». Si les dérives de la finance ont bien une dimension démentielle, il ne faut pas oublier que « la finance n'est pas excroissance : elle est au contraire un rouage essentiel du capitalisme dans sa version néolibérale ». L'auteur explique la genèse de cette financiarisation dont le rôle des pouvoirs publics, des États. Après la récession de 1974/1975 « Il y a eu un mélange très efficace de politiques délibérées de la part des gouvernements et d'une offensive patronale contre les salaires ». L'auteur décrit la mise place des conditions favorables à l'essor de la finance : « des mesures de déréglementation font tomber les obstacles et on fabrique éventuellement de toutes pièces des marchés financiers ». Puis il analyse la « nature » des titres financiers, droit de tirage sur la richesse produite ou à produire, et nous rappelle que « La finance ne crée donc pas de valeur, même si elle agit sur sa répartition ». D'un coté, baisse de la part des salaires, stagnation du taux d'accumulation et de l'autre augmentation de la part des dividendes. En regard de la fameuse « norme » de 15% de rentabilité des fonds propres exigée par les actionnaires, l'auteur souligne « une économie qui croît au mieux de 3% par an ne peut offrir durablement un tel rendement à ses actionnaires ». L'auteur termine ce chapitre sur quatre grandes contradictions : « Dilemme de la répartition : rétablissement de la rentabilité ou emplois ? », « Dilemme de la mondialisation : résorption des déséquilibres ou croissance mondiale ? », « Dilemme budgétaire : résorption des déficits ou dépenses sociales ? » et « Dilemme européen : chacun pour soi ou coordination ? »

Gageons que les réponses devront être politiques, démocratiquement élaborées ; qu'elles s 'appuieront sur un audit de la dette et l'annulation de sa partie odieuse et illégitime, que la baisse radicale du temps de travail sera au centre de la construction d'une alternative majoritaire à ce système. Contre le chacun-e pour soi et la guerre entre tou-te-s et tou-te-s, l'invention d'une société qui satisfasse pleinement les besoins humains, les besoins de toutes et tous.

Quelques citations complémentaires :

« La grande prouesse de l'économie dominante, c'est d'entretenir une confusion permanente entre le capital comme ensemble de moyens de production et le capital comme rapport social. »

« Les besoins, leur mode d'expression et leur possibilité de satisfaction sont modelés par les conditions d'existence »

« le mode de consommation peut aussi être considéré comme un mode de compensation de besoins insatisfaits »

« Les conférences de citoyens sont une expérience passionnante du point de vue de la prise de décision collective. le principe consiste à réunir un groupe de citoyens qui ne sont pas eux-mêmes des experts, mais qui ont à leur disposition de spécialistes qui les initient au domaine. Après ces premiers échanges, le groupe de citoyens interpelle de nouveaux experts ou décideurs qu'ils ont eux-mêmes choisis, puis délibèrent et élaborent leurs recommandations. »

« A l'encontre de la vision ‘parasitaire', il faut au contraire insister sur la fonctionnalité de la finance : elle fait partie intégrante du capitalisme contemporain et son poids croissant est en soi un indice de dysfonctionnements chroniques du capitalisme réellement existant » et « la finance n'est pas un parasite sur un corps sain, mais le moyen de ‘boucler' la reproduction du capitalisme néolibéral ».

En conclusion, Michel Husson souligne, contre une certaine lecture sclérosée ce réclamant du marxisme : « le capitalisme n'est pas pour autant un fruit mûr et ne s'effondrera pas malgré sa perte d'efficacité. L'idée même d'une ‘crise finale' est intrinsèquement absurde, parce que le capitalisme n'est pas seulement un modèle économique, mais un ensemble de rapports sociaux ; et ceux-ci ne peuvent être remis en cause que par l'initiative de forces sociales décidées à les dépasser. »

Le livre est très judicieusement illustré par de dessins corrosifs de Charb.

Cependant deux de ces dessins me semblent plus que problématiques. L'un page 169, le commerçant chez qui le personnage va acheter le pain est réduit à sa qualification banale d'arabe. Charb pense-t-il que cette caractéristique puisse être principale pour ce commerçant ?

Le dessin page 193 montre un adorateur du marché faisant sa prière « Il n'y a de marché que le marché et l'Europe est son prophète ». Par le texte et par le geste il s'agit ici d'un renvoi indéniable à l'Islam. Charb semble donc avoir intégré une hypothétique dangerosité de l'Islam !

Dans les années trente, celles et ceux qui étaient ainsi montré-e-s du doigt, causes de tous les maux réels et inventés, étaient les « Juifs », aujourd'hui sont désignés les « Arabes », sans oublier dans toute l'Europe, hier et aujourd'hui, la stigmatisation des « Rroms ». Insupportable est cette racialisation, ce racisme « banal », « ordinaire ».

Pour ceux qui professent ou reproduisent ces insupportables « banalités » une (in)conscience de leurs significations/impacts mais pour celles et ceux qui les subissent : une mise en cause permanente de leur intégrité.

Et un troisième dessin, page 119, peut-être caractérisé comme un véritable dérapage. Un patron néolibéral en train de dynamiter les 35 heures, c'est en effet du terrorisme social. Mais quand cet homme dit « Libéralisme Akbar ! » cela confirme, qu'aux yeux du dessinateur, le lien entre arabe/islam et terrorisme fait sens, comme nous le chantent les médias.

Que pense Charb de cette odieuse assimilation?.

Un livre clair. Grâce à la qualité des présentations, la très grande majorité des chapitres est accessible aux débutant-e-s en « économie ». Une véritable expertise au service des questionnements et de l'émancipation. Bibliographie et liens : http://hussonet.free.fr/capibib.

Les solutions politiques évoquées pour en finir avec la conjugaison d'une crise historique du système capitalisme et d'une crise globale de notre relation à l'environnement sont autant de pistes, qu'il nous faut explorer, pour élaborer des réponses collectives et démocratiques.

Contre les visions occidentales-centrées, il est bon de rappeler avec l'auteur (source nationsonline.org):

« Si le monde était un village…

Si l'on ramenait la population mondiale à un v
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