AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Sofiert



"Et voilà maintenant une question délicate, surtout en notre époque de correction politique : de quel droit me glissé-je dans la peau d'un personnage qui me ressemble si peu ? A priori, les TDS trans du bois de Boulogne, c'est pas mes putains d'oignons."
Avec lucidité, Nancy Huston se pose la question de sa légitimité à raconter la vie d'une prostituée trans mais la réponse qu'elle apporte relève davantage  du bon mot que de la liberté du romancier à choisir ses personnages.
" Enfin, s'il est vrai que j'ai assez peu pratiqué le métier de pute, nos métiers se ressemblent dans le fond : jour après jour, on doit laisser pénétrer en nous des gens qu'on ne connaît pas et, sans se confondre avec eux, chercher à les comprendre. Je suis en quelque sorte une pute du cerveau : du moment que ça " rapporte" ( de la matière pour un livre), mon esprit est prêt à se mettre en tandem avec tout ce qui passe. "

Qu'importe la formule, il est vrai que peu de romans choisissent une prostituée transgenre comme héroïne et que l'autrice lui accorde le profil de la prostituée au grand coeur.

Ruben est née fille dans un corps de garçon dans une famille pauvre de Colombie et subit la violence d'un père qui refuse de l'accepter. Elle trouve refuge dans la cuisine de sa mère ou auprès de sa grand mère qui lui apprend à coudre.
"Pas d'homme chez l'abuelita: la vie y est paisible. Les assiettes ne volent pas, les chaises ne se brisent pas et les objets, au lieu de vous sauter subrepticement à la figure, restent propres et calmes à leur place."
A l'adolescence, elle rejoint les prostituées de Bogota avant d'entamer sa transition.
A partir du chapitre 0, au cours duquel Ruben/Ruby se réveille après la pose d'implants mammaires, Nancy Huston va employer le féminin et utiliser le nouveau prénom choisi, Francia.

Avec l'installation à Paris, les chapitres vont alterner entre la vie quotidienne de Francia et ses souvenirs et les portraits successifs de ses dix-sept clients potentiels sur une seule et même journée.
On découvre alors une femme très attachée à sa famille qui vit toujours en Colombie. Elle envoie autant d'argent que possible pour sa mère et ses soeurs et veille sur l'éducation de sa nièce. Elle est aussi très soucieuse des femmes qui l'entourent et souligne la solidarité qui règne entre elles, même si elles sont regroupées par nationalité.

Par l'intermédiaire de son héroïne, Nancy Huston rend hommage à plusieurs reprises à Vanesa Campos, prostituée transgenre péruvienne sauvagement assassinée en 2018, ce qui lui permet également d'évoquer la violence qui menace les prostituées du bois de Boulogne.
Les chapitres consacrés à Francia proposent l'image d'une femme généreuse et attentive, aussi bien auprès de ses amies que de ses clients. Intelligente et fine psychologue, elle comprend les besoins de chacun et s'empresse de les assouvir. En prostituée altruiste et bienveillante, sa transidentité passe au second plan et l'on comprend que là n'est pas l'essentiel.

"Elle a trouvé ce garçon touchant. Il a juste envie de vivre un peu, mais dans son milieu, c'est trop demander. Les Français blancs et riches, c'est de vrais noeuds, se dit-elle, c'est la règle ! Ils ont le cerveau hypertrophié et le corps figé, débile, immobile. Ils se prennent la tête, ne savent ni qui ils sont, ni ce qu'ils veulent, ni ce qu'il leur faut, et le désir les tétanise au point qu'ils n'osent plus remuer le petit doigt. Comment font-ils pour s'embrouiller et s'emberlificoter à ce point ?"

Les choses se gâtent lorsque l'on aborde les portraits des clients. Si j'ai trouvé que cette alternance nuisait au rythme de l'ensemble, c'est aussi en raison d'un contenu plutôt stéréotypé mais surtout très artificiel.
J'ai ressenti dans la construction un plan d'exposition rigide dans lequel l'autrice semble s'être empêtrée. Comme si elle avait dressé les portraits-robots des différents clients possibles ( les maris incompris , les ados, les sortis de prison, les vieillards esthètes, les riches handicapés, les masochistes... Beaucoup d'enseignants curieusement...)

Certains portraits sont plus réussis que d'autres, mais on voit défiler à l'intérieur de chacun des fiches Wikipedia sur l'histoire des monuments parisiens, les mouvements artistiques, Shakespeare, la poésie, le protestantisme ou la vie au Japon.
Ce ton didactique, très affecté vient gâcher des personnages qui perdent toute spontanéité et toute authenticité. Impossible d'imaginer ces hommes comme clients de Francia, même si, lorsqu'elle récupère la parole, elle résume en quelques mots justes le profil de celui-ci.

Il aurait peut-être fallu une structure plus souple, moins dans l'esprit catalogue, pour esquisser les contours d'une typologie de clients de la prostitution. Ou même se dispenser de dresser cette liste toute subjective.
C'est en tous cas un avis très mitigé sur cette lecture qui m'a agacée à plusieurs reprises par son aspect préfabriqué.


Commenter  J’apprécie          245



Ont apprécié cette critique (22)voir plus




{* *}