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Critique de Osmanthe


Voici un bien étrange roman, dominé par deux héroïnes féminines. La narratrice, toujours vêtue d'un cardigan jaune, passe son temps, comme une obsession, à espionner une femme repérée pour être la femme à la jupe violette. Celle-ci, oisive au début de l'histoire (elle alterne des périodes de contrats courts et d'inactivité) a ses habitudes dans un parc public, toujours à la même place du même banc, et déguste systématiquement sa brioche à la crème sous le regard envieux des enfants qui jouent. Elle ne paye pas de mine, pas bien jeune, pas bien belle, pas bien sociable non plus…

Pourtant, la narratrice s'est mise en tête de se faire une amie de cette femme. Elle va monter un stratagème en déposant anonymement des offres d'emploi sur le banc, et dans la boîte aux lettres de la femme à la jupe violette, qu'elle suit, pour qu'elle postule dans le grand hôtel où elle-même travaille. Et cela marche, elle s'y fait embaucher comme femme de ménage. On se dit que cette femme mal dégrossie va avoir du mal à s'y faire, mais le directeur, les cheffes d'équipes Tsukada et Hamamoto, et les collègues font le nécessaire pour la former et l'intégrer, l'incitant notamment à ne pas se gêner pour utiliser et consommer certains petits suppléments habituellement offerts aux clients dans ces hôtels de luxe, confiseries, couverts et autres petits linges.

Notre narratrice, la Cheffe Gondô, observe tout cela, toujours avec discrétion, sans se dévoiler à la femme à la jupe violette, Mayuko Hino, dont elle ne perd pas une miette des gestes et comportement. Bientôt, Hino s'avère très douée et prend de l'assurance. Elle bénéficie des bonnes grâces du directeur. Elle qui prenait toujours le bus pour aller au travail se met à ne plus le prendre…elle embellit…des rumeurs se font jour parmi les collègues. Elles jasent, il paraît qu'on a vu Hino dans la voiture du directeur, cet homme marié ! Et son salaire, vous avez vu ça ?! Un scandale ! Gondô veut en avoir le coeur net, et poursuit l'espionnage. Oui, Hino et le directeur se retrouvent au restaurant. Oui, ils ont très probablement une liaison. Bientôt, une dénonciation anonyme à la maison-mère révèle des disparitions excessives et suspectes de produits…Les tourtereaux sont sous pression…jusqu'à une dispute entre eux, qui se termine en accident gravissime. Gondô, décidément témoin omniprésente, met aussitôt en branle un plan de sauvetage rocambolesque au profit de cette femme, mais aussi et surtout pour son propre bénéfice.

Un roman qui se démarque par son originalité, intéressant parce qu'il sort du feel-good facilement dégainé par des éditeurs français surfant sur une japanophilie suscitée par un soft-power nippon très efficace. Je ne sortirai toutefois pas le couplet des thèmes qui explorent les travers de la société japonaise, car pour le coup les histoires de cancans, de jalousies et coucheries au travail existent partout. le style d'écriture est simple, ni indigent ni indigeste, mais on cherchera en vain des passages où la beauté des mots prime, la priorité absolue est de relater les faits et gestes de la femme à la jupe violette, sous l'oeil de l'espionne-narratrice. Cela ressemble plutôt à un journal, sans longues descriptions, mais avec insertion de dialogues, assez nombreux et éloquents, notamment pour permettre au lecteur de capter sans grand effort l'évolution du regard porté par les cheffes, tant sur la femme à la jupe violette que sur le directeur de l'hôtel. Et sous cet aspect, l'hypocrisie est de mise !

L'impression générale est celle d'un roman qui se lit agréablement, d'une traite, parce qu'il est court et que l'auteure sait maintenir le mystère, et ce sur les deux personnages centraux, le lecteur s'interrogeant peu à peu autant sur la narratrice que sur la supposée héroïne en violet. Ce qui interroge notamment, et qui paraît assez peu crédible, c'est une quasi-invisibilité de Gondô. On comprend qu'elle est jugée médiocre employée, mais de là à ne jamais intervenir nulle part, jamais prise à partie dans les conversations, et n'avoir comme jamais été remarquée ni de Hino, ni du directeur, jusqu'à deux scènes distinctes d'échanges, cela semble assez improbable. Ceci dit, le message est peut-être de dénoncer l'invisibilité sociale voire exclusion de ceux qui ne sont pas socialement conformes, et les injustices dans le monde de l'entreprise (cancans, promotions canapés ?) Mystère...

La fin du roman est énigmatique, et laisse un léger goût d'inachevé. Précipitée, elle est volontairement allusive sur le sort de la femme à la jupe violette, et dévoile ce qu'on pressentait, que la véritable personne centrale de l'histoire est au moins autant la narratrice, cette femme au cardigan jaune, les deux faisant une paire bien complémentaire. On croit comprendre que la narratrice avait un dessein bien précis dès le départ. Plus que de simplement se faire une amie de la femme à la jupe violette, l'énigmatique narratrice Gondô avait des ambitions plus ambigües voire perverses, dans une recherche d'un profitable mimétisme avec celle qui l'aura obsédée.

Finalement, cette oeuvre, sans probablement laisser un souvenir impérissable, relève un peu le niveau du prix Akutagawa, dont les dernières oeuvres lauréates étaient décevantes ces dernières années, du moins à mon goût, de Français.
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