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Akutagawa Ryunosuke (1892-1927) tenait cette nouvelle pour l'une des oeuvres les plus fortes de Shiga Naoya (1883-1971). [
] Tout en usant de mots familiers réussir à donner une pareille sensation de transparence, voilà ce qui dans tout texte, à quelque genre qu'il appartienne, importe au plus haut point.
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Une telle forme d'écriture dédaigne la fleur pour obtenir le fruit : par la simplicité même, elle accède à l'essentiel comme aucun mode d'expression de la vie quotidienne ne le pourrait. [
] » (Junichiro Tanizaki [1886-1965])
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] Sa légèreté n'est qu'apparente. Elle recèle une puissance insoupçonnée. Ainsi de ces variations de Chopin, subtiles, presque imperceptibles, qui résonnent en nous, se propagent jusqu'au fond de nos entrailles comme la douleur d'une dent.
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] » (Hideo Kobayashi [1902-1983])
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] l'originalité de Shiga Naoya tient au fait que jamais dans aucune de ses nouvelles il ne se laisse aller à l'analyse psychologique de son personnage principal. Il le présente seulement comme un homme qui lutte pour essayer d'établir des relations humaines rationnelles dans le monde qui l'entoure. le personnage apparaît si profondément hanté par cette quête que Shiga Naoya ne s'attarde pas à une étude de son caractère.
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] » (Sei Ito [1905-1969])
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] En janvier 1913 paraît un premier recueil de nouvelles, dédié à sa grand-mère. le 5 août de cette même année, Shiga Naoya est renversé par un train de la ligne Yamanote. Il est grièvement blessé et doit se faire hospitaliser. Il écrit en septembre la nouvelle Han no hanzaï (Le crime de Han) puis, en octobre, part en convalescence à Kinosaki.
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] L'une de ses plus belles nouvelles, Wakaï (Réconciliation) [
] est publiée en 1917, peu de temps après Kinosaki nite (Le séjour à Kinosaki).
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17:55 - Générique
Référence bibliographique :
Naoya Shiga, le séjour à Kinosaki suivi de le crime de Han, traduit par Pascal Hervieu et Alain Gouvret, Éditions Arfuyen, 1986
Image d'illustration :
Autoportrait de Shiga Naoya daté de septembre 1912.
Bande sonore originale : P C III - O UT
O UT by P C III is licensed under an Attribution License.
Site :
https://freemusicarchive.org/music/P_C_III/O_UT_1733/O_UT
#NaoyaShiga #LeSéjourÀKinosaki #LittératureJaponaise
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"Il arrive parfois qu'un homme consacre sa vie entière à un désir qu'il ne pourra peut-être jamais réaliser. Celui qui se moque d'une telle illusion ne connaît rien à la vie."
Même s’il était vain de lutter, les passagers ne pouvaient néanmoins rester sans rien faire. C’est pourquoi, dès qu’ils avaient un moment, ils se livraient à la chasse aux poux. Du plus considérable au plus humble, du premier vassal au porteur de socques, chacun se mettait nu et attrapait ci et là les bestioles pour en remplir au fur et à mesure sa tasse à thé. Un konpira-bune dont les grandes voiles captent les rayons du soleil hivernal de la Mer intérieure et à son bord, une trentaine d’hommes en pagne déambulant une tasse à la main, occupés à débusquer les poux sous les cordages, derrière l’ancre : quiconque à notre époque imagine pareille scène la trouvera d’emblée ridicule, mais face à la « nécessité », n’importe quelle entreprise peut se révéler sérieuse, aujourd’hui comme avant la Restauration de Meiji.
(…) tout ce que l’expédition comptait de samouraïs avait le corps criblé de piqures, les ventres et poitrines étaient uniformément rouges et enflés au point qu’on eût dit que ces guerriers souffraient de la rougeole.
Oui vraiment, la vie humaine n'est-elle pas comme une rosée ou comme un éclair...
Mais à l'aube, j'ai pu observer mon père, le visage vieilli, perdu dans la contemplation des poupées. Cela au moins est certain. Et même si c'était un rêve, je n'en ressentirais pas pour autant la moindre déception. Car il m'a été donné de voir de mes yeux, cela au moins est certain, mon père, qui ne différait en rien de moi-même... oui, j'ai pu voir de mes yeux mon père, sensible et vulnérable, grave pourtant...
[Les poupées]

C’était alors que le grand tremblement de terre s’est produit – c’était le 28 octobre, vers sept heures du matin, comment pourrais-je oublier ? J’étais près du puits à me curer les dents, et ma femme en train de verser le riz d’une marmite dans la cuisine… La maison s’est écroulée sur elle. En à peine une ou deux minutes, un grondement formidable, digne d’un typhon, a retenti dans la terre, la maison s’est mise à pencher sous mes yeux, puis je n’ai plus vu que des tuiles voler. En un clin d’œil, je me suis retrouvé plaqué au sol sous l’auvent effondré, complètement abasourdi, et secoué par les vagues du séisme qui déferlaient de toutes parts. J’ai rampé au milieu de la fumée de poussière et, lorsque j’ai enfin réussi à m’extraire de sous l’auvent, le toit de ma maison était par terre, je voyais même des brins d’herbes entre les tuiles.
A ce moment-là, je ne saurais dire si j’étais ahuri ou en proie à la panique. J’étais comme absent à moi-même, pétrifié sur place, et c’est alors que, tandis que je jetai un œil à l’aspect de mer déchainée que présentaient les toits effondrés partout aux alentours, j’ai entendu un brouhaha considérable mêlant bruits et voix indistinctement – grondement de la terre, poutres qui tombent, arbres qui se brisent [...]
d’un ton brusquement amer, il dit :
- Dans le char, on a enchaîné une dame de cour qui a fauté. Ainsi, quand le feu sera mis, cette femme, chair brûlée, os calcinés, expirera dans de terribles supplices. Ce sera un modèle sans précédent pour parfaire ton paravent. Ne manque pas d’observer comme une peau blanche ainsi que la neige brûle et se crevasse. Regarde bien aussi les cheveux noirs se dresser en étincelles de feu !
- Vous tuez par le pouvoir, par l'argent ou même au moyen d'une simple parole d'apparence bénigne. Évidemment, le sang ne coule pas. La victime continue à vivre. Mais vous ne l'en avez pas moins tuée ! Du point de vue de la faute, je me demande qui de nous, vous ou moi, est le plus criminel.
J'ai dit tout à l'heure que sa voix faisait penser au coassement d'un crapaud, mais quand on l'avait sous les yeux, on sentait l'envie de préciser : elle faisait penser à un crapaud, certes, mais plus exactement elle évoquait le spectre indescriptible d'un crapaud à forme humaine, sur le point de cracher sa bave venimeuse. Et Shinzô avait beau vouloir faire le fier, il ne sentit pas moins la frayeur l'envahir, au point qu'il redouta même que la lampe au dessus de sa tête ne se mît à faiblir.
[Extrait de "La magicienne"]
Cela s’est passé un jour au crépuscule : un homme de basse condition était là, sous la Porte Rashô ; à attendre une accalmie de la pluie.
Il n’y avait personne d’autre que lui sous la vaste Porte. Seul, sur une colonne énorme, dont l’enduit rouge était tombé par endroits, un criquet s’était posé. La Porte Rashô se trouvant dans l’avenue Suzaku, on se fût attendu à y rencontrer, outre cet homme, deux ou trois personnes, des femmes en chapeau conique ou des hommes coiffés d’eboshi, cherchant abri contre la pluie. Et pourtant, il n’y avait personne d’autre que lui.