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Critique de Musa_aka_Cthulie


Je ne lis plus que rarement des romans policiers, ayant saturé après une longue période pendant laquelle j'en lisais beaucoup trop - et pas forcément les meilleurs. Et c'était mal parti pour que je me mette à Arnaldur Indriðason, étant donné que j'avais vu en 2018 le film Jar City / Mýrin , dont j'avais trouvé le scénario assez mal fichu. Plus tard, je découvrais que ce film était adapté d'un roman, et la question se posait : est-ce que le défaut de scénario était inhérent au roman, ou était-ce un problème lié à un choix du réalisateur ? Je craignais aussi de retrouver le sempiternel héros-policier-malheureux-dans-la-vie-avec-des-tas-de-problèmes auxquels j'avais déjà eu affaire dans les romans policiers suédois, entre autres, et le film me confortait allègrement dans cette conviction. Malgré tout, poussée par un membre enthousiaste de SensCritique, j'ai tenté l'aventure avec ce roman d'Indriðason, qui fait partie de la série des enquêtes d'Erlendur et de son acolyte Sigirdur Oli.


L'enquête est bien menée, et si je le dis alors que ça semble être la base de tout roman policier, c'est que j'ai lu je ne sais combien de romans dans lesquels l'enquête passait à la trappe - c'est trop souvent le cas des romans policiers historiques. Tout débute avec le suicide d'un quinquagénaire interné dans un hôpital psychiatrique de Reykjavík, qui a lieu en même temps que le meurtre d'un vieil homme dans un autre quartier. Pas de suspens inutile du genre "Découvrira-t-on à la fin qu'il existe un lien entre les deux événements ?". La réponse est oui après deux courts chapitres seulement, et nous voilà débarrassés d'un encombrant procédé qui, souvent, ne mène pas à grand-chose - dans le genre "Oh, ça alors, les deux affaires étaient liées" alors que tout le monde s'y attendait, ou encore "Il n'y avait absolument aucun rapport entre ces deux affaires", ce qui est très très souvent source de frustration. le suspens porte donc sur la découverte des dessous des deux cas, à travers une histoire dont Indriðason va littéralement soulever les couches l'une après l'autre. Pas de temps mort, pas de chichis ici ou là.


Le procédé narratif est des plus usités : l'auteur alterne le point de vue des policiers avec celui de Palmi, le frère de l'homme qui s'est suicidé, avec des croisements de temps à autre. C'est peut-être pas ce qu'il y a de plus réaliste, Palmi n'étant pas la personne la plus à même de mener des investigations ; la fin, surtout, est un chouïa gentillette, voire d'un optimisme fantasque, et ce d'autant plus que le gros de l'histoire est vue d'un oeil déprimé. L'intérêt du roman tient d'ailleurs en bonne partie à la critique sociale qui touche l'Islande de la fin des années 1990 (le roman a été publié en 1997), mais aussi et surtout l'Islande des années soixante, via le prisme du développement urbain de Reykjavík, de la marginalisation de la classe pauvre et de certains choix en matière d'éducation (à savoir mettre de côté les "cancres" à l'école pour ne pas déranger les autres, et les ostraciser sans vergogne). Choix qui ne sont pas sans rapport avec ce que la France a pu connaître : je me souviens très bien des classes de CPPN que tout le monde montrait du doigt dans les années 80... Mais il s'agit aussi de pointer les dérives de l'industrie pharmaceutique, et de la science en général, peut-être avec un léger manque de finesse. Mais après tout, ça passe quand même. Indriðason s'est intéressé par la suite avec Mýrin (du moins d'après ce que je sais du film) à un sujet proche, mais bien plus spécifiquement islandais.


Pour ce qui est des défauts les plus flagrants, ils tiennent en partie à l'auteur, mais aussi et surtout à l'éditeur français. Donc, d'une part, on peut déplorer que les personnages d'Erlendur et de Sigurdur Oli soient trop caricaturaux. Mais, comme je le disais plus haut, on nous a évité de longues pages consacrées au mal-être d'Erlendur - même si j'ai cru comprendre que ça n'allait pas durer bien longtemps et que la série allait faire son beurre de ce mal-être. D'autre part, il y a quelques soucis dans la traduction française qui se remarquent même quand on n'a pas le texte islandais en face de soi, et, pire, même quand on ne parle pas islandais. Un exemple : les personnages vouvoient les personnes qu'elles ne connaissent pas et auprès desquelles elles enquêtent, et ce pendant à peu près la moitié du roman. Sauf que le tutoiement est de rigueur en Islande (depuis les années 80, il me semble). le vouvoiement à la française ne serait pas plus embêtant que ça si ce n'était pas justement une cause de discorde entre deux personnages à un moment donné. Et donc, à partir de là, les personnages vont se tutoyer, ou éventuellement se vouvoyer quand quelqu'un ne supporte pas le tutoiement. Mais le traducteur ne s'est dit à aucun moment : "Mince, les personnages se vouvoient, et puis soudain ils sont obligés de se tutoyer, donc il faut que je revoie ma traduction depuis le début". Mais passons. Ajoutons à cela des phrases comme "Il habitait rue Vesturgata" ; "gata" signifiant "rue", c'est donc en gros comme si on écrivait "Il habitait rue rue de l'Ouest" (oui, avec deux fois "rue"). Bref, l'islandais est une langue exotique, faisons donc n'importe quoi dans nos traductions, alors qu'il suffirait d'une simple note en bas de page indiquant la signification de "gata". À côté de ça, on a la phrase (sic) "Du bist nicht abnormal *, se disait-il dans la langue de ses ancêtres", où la partie en allemand n'est pas même pas traduite dans une note de bas de page (oui, j'aime les notes en bas de page !) Que je sache, les lecteurs français, contrairement à d'autres lecteurs francophones, ne sont pas spécialement réputés pour leur maîtrise des langues étrangères (il n'y a que Donald Trump pour penser que les Français sont bons en allemand), donc même la phrase la plus simple en allemand - ou en anglais, ou en espagnol, ou en italien, ou en n'importe quelle langue, de toute façon - se doit d'être traduite. Cela dit, j'ai lu il y a peu un bouquin avec des phrases en latin non traduites, donc allons-y gaiement. Et je passe vite fait sur les bizarreries question concordance des temps ou sur les passages du "il" au "nous" dans la narration. Suis-je donc la seule à vouloir que les maisons d'édition fassent correctement leur travail ? Bin ich abnormal ??? **


Bon, tout ça n'est pas de la faute d'Arnaldur Indriðason, qui a commis un roman policier qui n'a finalement pas grand-chose à se reprocher, et qui se lit très bien d'une traite.


* Tu n'es pas anormal
** Suis-je anormale ???
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