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Critique de ATOS


ATOS
29 novembre 2014
La geisha fait partie pour nous occidentaux de l' iconographie traditionnelle japonaise : un samouraï, une geisha, un pont, un cerisier, un jardin, . Voilà le décor est planté. Nous sommes au Japon. Trivial raccourci pictural je vous l'accorde. Quoiqu'il en soit la Geisha fait partie d'une de ces rudimentaires panoplies ethno-descriptives que toute culture utilise pour tenter d'identifier une culture différente de la sienne.
Le statut de Geisha est très récent dans la culture japonaise puisqu'il n'apparaît qu'au 18e siècle. Tout d'abord statut masculin durant environ une cinquantaine d'année , le geisha danse et chante pour animer les maison de thé. A partir de 1750 , les femmes endossent également cette fonction. Très rapidement leur statut particulier s'officialise, en 1779. Il perdurera dans sa tradition la plus stricte jusqu'aux années 1950. Voilà pour le côté historique de l'image. Les mémoires d'une Geisha nous invite à découvrir l'envers du décor. Retournons l'image : il est écrit au dos de la photographie : Kinu, enfant, 1892,Kanazawa, Japon.
La geisha, cette icône de l'esthétisme, des arts et de la culture, objet fabriqué, poli, lustré, laqué, codifié, calibré, élévé pour plaire et dressé pour satisfaire, a une histoire.
Si l'image est jolie, les couleurs quant à elles sont cruelles. Autant la perversion peut éventuellement accueillir son intelligence lorsque l'objet de celle ci est son auteur, tout autant celle ci devient intolérable lorsque que l'objet de cette perversion devient l'autre, cet autre qui est toujours issu et sciemment maintenu en état d'infériorité par rapport à l'auteur. Il n'existe pas de caste au Japon à proprement parlé ( mise à part le statut des Burakumin et des Hinnin ) . Mais au Japon comme dans nombre de sociétés humaines, il existe au moins deux classes : les riches, et les pauvres. Quand on a les moyens on se paie une prostituée, quand on a énormément de moyen on commande les services d'une geisha. Raffinement coutumier d'un certain langage.
Kinu, est née en 1896. Fille d'un artisan sculpteur, alcoolique et désoeuvré, elle sera vendue à l'âge de huit ans. 100 yens, 100 yens pour une vie. Elle aura mis plus de quinze ans à rembourser sa dette auprès de sa mère adoptive ( nom de la femme tenancière de la maison des geishas où Kinu fut officiellement inscrite). Jusqu'à l'âge de 12 ans elle aura été l'enfant esclave. Au service des ses grands soeurs, et de la mère. de douze à quinze ans : apprentie geisha, période durant laquelle elle apprendra l'art de satisfaire. A quinze ans cérémonie d'investiture : dépucelage obligatoire perpétré par un client choisi par « la mère ». Client qui aura grassement payé la mère pour pouvoir déguster le ventre de la jeune caille. Évidement officiellement, la geisha n'est pas une prostituée. de prostituée il n'y a en a qu'une d'enregistrée dans la maison a laquelle la geisha est rattachée. C'est le roseau qui recouvre le saule. Parce qu'il y a dette, il faut rembourser. Les parents de l'enfant ont bien encaissé l'argent. Mais il s'agit non d'une vente mais d'un prêt. Les parents encaissent, l'enfant remboursera. La geisha se verse avec avidité et frénésie dans les arts (musique, danse, chant et poésie) parce que cela fait partie de son éducation mais surtout parce qu'elle trouve là, et uniquement là, la seule échappatoire à son destin. C'est là que la geisha se réalise, s'exprime, se caractérise, trouve l'identité qu'on lui a volé.
Quartier réservé, ghetto du plaisir, monde des fleurs et des saules, peinture de larmes et de sang.
La prostitution existaient au Japon, bien avant que ne surgisse le statut de la geisha, et il existe malheureusement toujours, là bas comme chez nous, mais le statut de LA Geisha n'est pas une tradition ancestrale, il s'est engouffré dans l'histoire du Japon à partir d'une faille. Car ce sont en premier les filles de Samouraï qui furent élevées pour tenir ce rang. Samouraïs qui au 18e siècle se retrouvèrent sans travail, sans statut, et trouvèrent ainsi un moyen de caser leurs filles sans perdre la face. Une nouvelle classe de nonnes est née ; les soeurs du très haut et très digne monde du plaisir. La société japonaise a brusquement dans son histoire connu un séisme économique, politique et culturel. Les fondements de sa culture ont permis l'édification de ce système terrifiant. Toutes les cultures ont le revers de leur médaille. Toutes. le japon codifie, la France verbalise. le Japon intègre, la France rejette. Acception – déni ? Il se profile dans l'ombre toujours le visage que nous dissimilons.
Mais à quelque endroit où se meut le monde des plaisirs il faudra toujours qu'il se heurte aux frontières de l'interdit. Et cela n'est pas une éventuelle question de culture ou de civilisation , ni de quelconque espace spatiotemporel qui pourrait donner une bienheureuse mais toutefois intolérable justification à notre conscience, c'est une question de survie pour notre humanité.

Astrid Shriqui Garain

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