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Critique de l-ourse-bibliophile


Dès que j'eus tourné cette couverture sobre et mystérieuse, j'ai été frappée par une belle plume, avec son vocabulaire soigné et son attention à créer des voix distinctes, et une atmosphère immersive.

C'est un roman constitué de trois voix d'abord, celles des survivants. le journal écrit de Paul Rudier, au ton gouailleur quoique cultivé, intelligent et rude, parfois cru. La prose soignée de la correspondance de Suzanne Garcin, fille de bonne famille. Les enregistrements phonographiques d'Armand Létoile, que l'on pourrait peut-être reprocher d'être trop bien écrit, de manquer d'une touche d'oralité. Puis s'ajoutent les pensées d'Armand Brémont, succession de réflexions, flux bondissant de mots, images et mots-valises.

Nous sommes en 1936. L'empreinte de la Grande Guerre est toujours là, tâchant les âmes et les souvenirs, quel qu'ait été le rôle de chacun dans cette boucherie absurde, tandis que le spectre d'Hitler et du conflit à venir – menace confuse niée par certains, redoutée ou attendue par d'autres – se profile à l'horizon.
L'ambiance est sombre, un peu poisseuse. Relents de boue, de mort et de comportements plus que douteux. Les personnages sont des survivants à plus d'un titre et leur passé est rempli de ces nuances qui fabriquent des psychologies riches et travaillées et, de là, attachantes, à commencer par Paul, l'amoureux de la littérature et pourtant salaud de première…
Même si l'on s'échappe souvent de l'histoire présente à travers les récits personnels, les passages dans le village sont oppressants comme tout bon huis-clos et les apparitions des créatures – dont l'auteur n'abuse pas – sont véritablement marquantes. Précisons que le résumé est un peu trompeur car le récit est finalement constitué de plus de flash-backs à travers les regards en arrière des personnages que de cette intrigue surnaturelle.

Cependant, deux-trois points m'ont malheureusement gênée au fil de ma lecture.

Dans un premier temps, j'ai été prise par ces histoires familiales compliquées, ces familles qui, pour certaines, cachaient sous un vernis lisse des relations parents-enfants conflictuelles, traumatisantes. Récit du poids des attentes familiales, du milieu social qui colle à la peau de certains comme la terre humide aux bottes, du mépris de classe, d'un enfermement intellectuel et des ruades furieuses pour s'en sortir, de l'identité et des rêves d'un avenir à sa mesure…
Sauf que tout vient surtout des mères : des désirs d'abandon, des humiliations, des pressions intolérables, des brimades… Tout est la faute de la mère apparemment (les pères ont beau être tout aussi défaillants, c'est uniquement à cause de leur lâcheté, leur faiblesse, leur soumission à leur femme, les pauvres…). Certes, cette belle unicité dans le passé des personnages a une raison d'être, mais j'ai fini par être agacée face aux portraits féminins en général. Car d'une manière plus générale, tout semble de la faute des femmes – mères, compagnes… – qui « ne semblent exister que pour mieux faire souffrir les hommes à grands coups d'excuses et de pitoyables justifications, dans le seul besoin d'occulter leurs propres travers. Une lâcheté effrayante qui nourrit leur perdition et leur égoïsme. »
De la même manière, Suzanne et l'amie à qui elle écrit ont subi « un abus ». Elle ne cesse d'y faire allusion à mots couverts dans sa lettre, le moment où elle en parle à Armand est comme éludé, survolé, comme si un voile de pudeur était jeté dessus alors que les hommes racontent leur vie dans les détails. J'ai surtout eu cette sensation d'un ajout « dans l'air du temps » que l'auteur ne savait pas vraiment comment traiter. D'ailleurs, je suis bien obligée de reconnaître que, parmi les quatre personnages principaux – trois hommes et une femme –, Suzanne est la seule qui m'a laissée assez indifférente car elle est, à mes yeux, moins bien campée que les hommes.

De plus, l'histoire paranormale ne semble être qu'un prétexte, une toile de fond réunissant des personnages dont l'auteur avait apparemment très envie de raconter la vie, sans forcément savoir comment la présenter. Que le cadre soit un prétexte ne me dérange pas – c'est un peu le cas dans Dans la forêt que j'avais adoré –, mais dans celui-ci, j'ai trouvé qu'il y avait quelque chose d'artificiel et d'un peu lourd dont la façon dont les personnages se racontent (quoique cela colle bien avec le protagoniste égocentrique qu'est Paul).
Certains passages détonnent vraiment, allant jusqu'à me sortir de ma lecture. Tout d'abord, Suzanne retranscrivant dans une lettre le récit de la vie d'Armand à la première personne et avec moult détails et dialogues comme si elle l'avait vécue. Ensuite, Suzanne toujours qui, ayant décidé de tenter sa chance à travers la forêt, écrit : « Toutefois, il [Paul] me laisse suffisamment tranquille pour que je finisse de t'écrire. Je doute de le refaire, il faudra que j'aie tous mes sens en éveil. », puis ligne suivante : « Je suis partie en silence (…) » alors qu'elle est dans la forêt, la fin de la lettre ne laissant pas de doute, elle y est toujours. Qui écrit une lettre dans la forêt alors qu'il y a potentiellement des monstres, des mystères et qu'elle ne sait pas pour combien de temps elle en a à sortir de là, si tant est qu'elle y arrive ?
Quant à cette fin, elle me laisse très partagée. Si je la trouve plutôt marquante visuellement parlant, elle me laisse un goût de « tout ça, tout ce suspense, tous ces mystères, pour ça » (tant au niveau du « pourquoi ? » que du « comment ? ») qu'il est difficile de préciser sans divulgâcher.

Ce roman reçoit d'excellentes critiques que je ne partage pas vraiment, même si je l'ai lu sans déplaisir et sans heurt (en dépit de cette petite voix soulignant les bémols). Si je lui reconnais certaines qualités en termes d'écriture, de thématiques, de construction des personnages principaux (masculins) et de l'atmosphère, je n'ai pas été complètement emballée par l'histoire, également pénalisée par les personnages féminins et certaines lourdeurs.
Lien : https://oursebibliophile.wor..
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