AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Musa_aka_Cthulie


Il était bien entendu que des derniers romans que j'ai lus, un seul convenait parfaitement pour une critique en ce 31 octobre. Bien que qualifié de l'un des "meilleurs romans fantastiques du XXème siècle" par Stephen King, son adaptation cinématographique par Robert Wise, La maison du diable (The Haunting), - dont on sait d'autant moins qu'il est tiré du roman de Shirley Jackson que son titre français est nul, absolument inapproprié, et qui ferait plutôt penser à la tuerie d'Amityville - est sans doute bien plus célèbre. Il existe une autre adaptation de 1999, mais je préfère ne pas m'y référer (c'est une nullité).


La maison hantée (The Haunting of Hill House) est d'abord l'histoire d'une jeune femme, Eleanor, avant d'être celle d'une maison ou d'une expérience pseudo ou réellement scientifique. Une histoire que Shirley Jackson dirige d'une main de maître.


Le docteur Montague, docteur en anthropologie (ce qui pose des questions sur ses motivations réelles, l'anthropologie étant bien une science), a décidé de mener une expérience sur les manifestations surnaturelles et, en l'occurrence, sur une maison hantée. Pour ce faire, il a choisi Hill House, manoir sur lequel s'ouvre le roman, maison abandonnée par ses propriétaires depuis 80 ans et sur laquelle il se raconte nombre d'histoires. Bref, Hill House serait hantée. Par quoi, comment se manifeste la hantise, on ne le sait pas, du moins pas tout de suite. Pour son expérience, le docteur Montague a choisi de s'adjoindre les services de personnes inconnues de lui, mais dont les facultés psychiques sont censées sortir du commun. C'est ainsi qu'Eleanor et Theodora, l'une ayant subi (ou provoqué) une pluie de pierres sur sa propre maison, l'autre semblant dotée de pouvoirs télépathiques, répondent à l'invitation du docteur. L'héritier en titre de la maison, à la demande des propriétaires, complète l'équipe (ce qui est louche, et nous amènera à nous demander s'il est complice d'une supercherie, ou bien d'une étude "masquée", comme on en pratique de nos jours en psychologie sociale, par exemple).


Contrairement à Nous avons toujours vécu au château, où le personnage principal est aussi la narratrice, Shirley Jackson avait choisi pour La maison hantée (écrit plus tôt) un parti-pris différent. Elle y utilise toujours le style indirect. Or, on ne sait pas toujours très bien si on voit Eleanor du dehors, d'un point de vue distancié, ou si c'est le point de vue propre d'Eleanor qui nous est imposé. Ainsi la présentation du docteur et des protagonistes semble relever du discours d'un narrateur hors-champ. Mais très vite, on va se rendre compte que l'on suit uniquement les faits et gestes d'Eleanor, et son voyage vers Hill House, ponctué de fantasmes liés à telle ou telle maison aperçue sur la route (Eleanor n'ayant pas de maison à elle), nous fait comprendre que nous sommes bien dans l'esprit de la jeune femme. Et c'est ainsi que, durant tout le roman, Shirley Jackson joue avec le lecteur, le laissant se poser des questions sur l'expérience du docteur Montague, sur la présence des deux domestiques - dont l'une parle comme un robot, répétant les mêmes phrases quelles que soient les questions qu'on lui pose -, sur Luke, l'héritier, ou sur Theodora, qui se lie très vite d'amitié avec Eleanor.


Pour ce qui est des phénomènes paranormaux eux-mêmes, puisqu'il faut bien qu'une maison hantée en soit pourvue, il vous faudra attendre plus que la moitié du roman pour y être confrontés. Shirley Jackson sait prendre son temps, et c'est tant mieux. Mais rien que la vue de la maison est glaçante, suscite la répulsion ; sans parler de toutes les bizarreries qu'elle recèle - et qui seront expliquées rationnellement par le docteur, du moins d'un point de vue architectural (pour le reste...) C'est une maison-labyrinthe aux angles curieux (géométrie non euclidienne ???), qui a, et il l'a dit, inspiré Stephen King pour Shining, mais peut-être encore davantage Kubrick pour le film.


Puis viennent les bruits, nocturnes, signes de hantise obligés propres à la fin du XIXème siècle. Une journée passe. Les inscriptions écrites avec une substance gluante rouge, qui mentionnent Eleanor, prennent le relais. Une journée passe. Les bruits reviennent, le froid s'insinue partout et persiste dans une pièce en particulier, les inscriptions et les taches rouges et gluantes se multiplient. Puis viennent les visions. Peu à peu, on voit le docteur Montague, Luke, et peut-être surtout Theodora, se comporter de manière étrange. Un passage étonnant montre Eleanor les espionnant : on s'aperçoit alors que chacun d'eux, lorsqu'il mentionne les autres occupants, ne parle jamais d'Eleanor... Eleanor passe successivement d'un sentiment affectueux à la répulsion pour chacun d'entre eux, et spécifiquement à l'égard de Theodora. Enfin, Eleanor, qui s'est toujours sentie rejetée et qui souhaite de toute ses forces être acceptée, va pousser l'expérience jusqu'à ses limites.


Histoire d'une jeune femme instable, tyrannisée pendant toute sa vie d'adulte par une mère malade qui vient de mourir, rongée par la culpabilité, et dont Hill House va révéler les failles. Roman horrifique, certes, mais roman bien tout autant psychologique, La maison hantée laisse un goût amer, d'une grande tristesse.
Commenter  J’apprécie          387



Ont apprécié cette critique (36)voir plus




{* *}