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Critique de musaraneus


Gros coup de coeur pour ce récit, lu d'une traite malgré ses 720 pages, qui relate l'histoire tragique de Pauline Dubuisson, étudiante en médecine, qui, au début des années 50, tua son amant avant de tenter de se suicider en ouvrant le gaz.

Célèbre procès du siècle dernier qui passionna les foules autant que les journalistes avides de sensationnel, on aura tout dit sur Pauline Dubuisson. Tout et (surtout) n'importe quoi.
De quoi mettre Philippe Jaenada en colère, et lui donner envie d'enfiler le costume d'avocat et rendre (enfin) justice à celle qu'on surnomma "la ravageuse".

Dans un style personnel bien particulier : il relate les faits comme on raconte une histoire à ses potes de bistrot, avec des digressions rocambolesques dans sa propre vie ou des commentaires acides sur les protagonistes de l'affaire ; mais sans jamais se départir de la rigueur attendue dans une enquête de ce genre.
Car Philippe Jaenada a bossé son sujet. Il a patiemment collecté les articles de journaux, lu les livres publiés sur l'affaire, épluché les archives, retrouvé les procès verbaux, recherché les personnes encore vivantes ayant vécu les bombardements sur Dunkerque et celles ayant connu Pauline,... Etc. Afin de retracer (ce qu'aucun avocats de la défense n'a eu l'idée de faire a l'époque !) l'enfance de Pauline, dans un climat familial étrange et malsain : la mère est dépressive, neurasthénique, le père déscolarise la petite Pauline pour la "modeler" lui même, avec rigidité et dans une absence totale d'émotions. (il ne la touche jamais, lui parle comme à une adulte, interdit jeux et camarades) Les décès de deux de ses frères viendront achever ce décors déjà sinistre.

Le récit se poursuit sur son adolescence sous l'occupation et ses premières expériences amoureuses, avec des allemands, son père la poussant pratiquement dans la gueule du loup, à 13 ans;
Les bombardements et les horreurs de la guerre, puis les représailles à la libération pour celle qui collabora à "l'horizontale".
Enfin, la rencontre avec Félix, la fac de médecine, leur histoire d'amour et ce jour tragique ou, dépitée par son rejet, voulant se tuer devant lui, Pauline frappe à la porte de Félix muni d'un pistolet.
La suite et fin du livre sera consacré au procès, aux années de prison et à sa vie d' « après ».

L'auteur nous offre ici une magnifique plaidoirie en faveur de Pauline Dubuisson, mais aussi et surtout, contre ses détracteurs :
La justice d'abord avec ses pantins grandiloquents, matadors dans une arène, prêts à tous les coups bas : gros mensonges ou petits arrangements avec la vérité, copinages, oublis de témoignages…etc.
Les médias, ensuite, qui n'auront de cesse d'enfoncer Pauline, déformant son portrait jusqu'à en faire cette petite femelle, méprisable, fille à soldats, meurtrière de sang-froid cynique, glaciale et orgueilleuse.
La société enfin, qui trouvera dans ce fait divers, un parfait exutoire aux malheurs de la guerre et en Pauline une parfaite tête de turc.

Prison à perpétuité !
Ils scelleront ainsi le sort de Pauline Dubuisson, malgré la grossièreté d'une instruction vérolée par les mensonges et les déductions illogiques, que Philippe Jaenada démonte une à une, sous nos yeux incrédules.

Mais au-delà du fait divers, c'est également le récit d'une époque, déchirée entre les souvenirs traumatiques de la guerre tout juste terminée, et l'espoir, l'envie de jeunesse et de modernité qui souffle sur la France. La place des femmes et leur rôle dans la société devient ambigüe (elles ont, par exemple, accès aux études mais exercer ensuite est soumis à décision du mari)
Il faudra attendre 20 ans et les évènements de mai 68 (75 même, pour les droits des femmes), pour trouver cette liberté.
Pauline est en avance d'une génération et c'est cela finalement qui lui est reproché : Son envie de vivre pleinement sa féminité, son rejet des carcans imposés par la morale bien-pensante de l'époque, et cette liberté de ton, de parole.
Lors du procès, elle ne baissera jamais les yeux face aux ténors du barreau et c'est ce qu'on a envie de retenir d'elle, en refermant ce livre.

Challenge pavés – 2016 / 2017.
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