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Critique de Beatrice64


Je n'avais jamais entendu parler de Pauline Dubuisson avant de lire le pavé de Jaenada (715 pages quand même). Celle qui lors de son retentissant procès en 1953 fut taxée à l'envie de cruelle, froide et calculatrice, apparaît surtout comme une jeune femme contradictoire (humaine, quoi), à la fois fragile et courageuse, réservée et sexuellement libre. Et très malmenée par la vie.

Sur la photo de couverture elle a 24 ans, et elle se remet tout juste d'une tentative de suicide au gaz, qu'elle a commise après avoir tué son ex-petit ami de trois balles de revolver. Nous sommes en 1951, les femmes n'ont le droit ni d'avorter, ni de travailler sans l'accord de leur mari, bref, le patron, c'est l'homme. La France se remet à peine de la guerre, Pauline Dubuisson est séduisante et intelligente (elle poursuivait des études de médecine), elle a eu des amants, a été tondue à la Libération, et son passé (enfin, ce qui en est colporté) alimentera l'accusation et fera les choux gras de la presse. Très médiatisé, son procès est quasiment celui d'une sorcière ; la foule réclame sa tête, elle écopera de la perpétuité. Que Pauline Dubuisson soit coupable d'homicide ne fait pas de doute évidemment. Mais Philippe Jaenada conteste les circonstances du drame (meurtre de sang-froid prémédité), et montre dans son livre comment cette femme fut victime de la misogynie d'une époque : les pièces du procès ont été tronquées voire falsifiées, les témoignages coupés ou sélectionnés, l'accusation s'est littéralement acharnée sur celle qui représentait la femme « qui ne sait pas se tenir », la femme mauvaise, la manipulatrice. La parole de Pauline Dubuisson ne sera jamais entendue. L'accusation tiendra des rumeurs pour des vérités, et davantage qu'un acte, elle jugera une femme (de manière partiale et sexiste).
Dans son livre, Philippe Jaenada remonte jusqu'à la naissance de Pauline, se coule dans les pas de cette femme qui le bouleverse, essayant d'imaginer ce que c'est, par exemple, d'être une jolie jeune fille de 13 ans sous l'Occupation, que papa envoie seule chez les officiers Allemands signer des papiers (en lui recommandant bien d'arriver à conclure les contrats). Il arpente les rues dans lesquelles elle a marché, lit les livres qu'elle a lus. de cette enfance (qui n'en fut pas une) dressée par un père obnubilé par le pouvoir et la réussite, aux violences subies à la libération (elle a tout juste dix-sept ans) en passant par sa volonté farouche d'indépendance (elle refuse de se marier avec Félix car il veut qu'elle arrête ses études de médecine) c'est tout un contexte pétri de patriarcat et de préjugés que scrute Philippe Jaenada, portant un regard plein de bienveillance et d'empathie sur cette jeune femme, qui fera tout au long de sa vie plusieurs tentatives de suicides avant de réussir à se tuer. Bienveillance et empathie que personne, ni sa mère, ni son père, ni ses amants, ne lui auront jamais prodigués. Fouillant les archives, les lettres, les procès-verbaux, reprenant l'instruction du procès (dont il prouve les incroyables déviances), scrutant son enfance, allant à la rencontre des derniers témoins, Jaenada éclaire les faits d'une lumière nouvelle, restitue (enfin) les paroles prononcées dans leur intégralité et leur contexte ; il rend justice, dignité et vérité humaine à cette femme, dans un hommage sincère et bouleversant. Jaenada est parfois, évidemment, dans le doute, dans le flou, en proie à des scrupules qu'il partage avec son lecteur. Mais ce qu'il avance est méticuleusement vérifié, réfléchi et pesé. le sérieux et la minutie de cette enquête sont contrebalancés (de manière aussi radicale que bienvenue) par l'humour, au ton si savoureux, et le sens inné de l'auto-dérision de l'auteur.

Un livre impressionnant, qui se lit avec une facilité déconcertante, que dis-je, qui se dévore, où l'on rencontre deux personnages étonnement vivants et touchants : Pauline Dubuisson rendue à sa vérité, et l'auteur, littéralement habité par son enquête
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